#Atelier 574 – Leadership et art d’innover par Christian Monjou
L’œuvre d’art est une forme d’expression, un langage qui ne répond pas aux mêmes attentes/codes que les autres formes de création. Or, si l’essence de l’innovation est de proposer un nouveau produit ou service destiné à apporter du changement à notre environnement, elle a toujours comme seul client l’être humain dans toute sa complexité et sa diversité : le conférencier Christian Monjou la décode donc au miroir de l’art. Récapitulatif en « fiche de lecture ».
Publié le
Par La Redaction
Qui ?
Christian Monjou est professeur en Khâgne au Lycée Henri IV à Paris, professeur d’agrégation à l’Ecole Normale Supérieure ainsi qu’enseignant chercheur à l’université d’Oxford en Angleterre.
Quand ?
Le 30 novembre 2017, alors que le monde entier s’interrogeait sur l’innovation fintech par excellence, Le Bitcoin qui dépassait la barre des 10 000 dollars ce jour, le groupe SNCF se concentrait sur le rapport en art et création industrielle.
Où ?
Au 574 de Saint-Denis, tonnelle de l’innovation par SNCF en Ile-de-France.
Grandes idées ?
Pourquoi l’innovation vue sous le prisme de l’art ?
Lorsqu’il aurait été fastidieux d’expliquer la diversité, la richesse de perspectives du monde moderne, l’Art apparait comme un exégète des phénomènes sociologiques qui nous entourent et animent notre quotidien. Si sa forme et sa matérialisation peuvent parfois paraitre désuètes, la démarche, elle, est significative d’un courant, d’une réalité ou d’un changement. L’art vient signifier les codes, les symboles et les bouleversements sociétaux. A titre d’exemple, le professeur présente une carte du monde telle que nous la connaissons tous : il la qualifie pourtant de disproportionnée car illustrant un écosystème géopolitique plus qu’une réalité géographique – plaçant une Europe démesurée au centre du monde -. A cette dernière il oppose l’œuvre de Chéri Samba, peintre emblématique du Pop Art Africain des années 80, qui redessine le monde moderne en inversant les pôles – le nord en bas et le sud en haut -.
Or, si l’illustration semble défiante, elle copie l’agencement des continents de la première carte du monde commandée au 11ème siècle par Roger II de Sicile à son cartographe Al Idrisi, qui, du fait de sa confession musulmane, avait disposé sa carte du monde à l’inverse. Pour appuyer son propos, l’universitaire assène : « L’ouverture culturelle en terme de marché est une autre appellation de ce qu’on appelle le marketing ».
L’évolution des sociétés et des technologies bouleverse notre vision du monde, nos repères et nos échelles de mesure. Les œuvres d’art, du fait de leur intemporalité, viennent décoder ces transformations. « Le monde change, nous assistons à une gullivérisation du monde » d’après le chercheur. Ce qui était petit devient grand, et vice versa. Néanmoins, Christian Monjou ne s’arrête pas là : l’art vient aussi interpeler, revendiquer, remettre en perspective ce que l’individu oublie.
Innovation = destruction + création
Pour parler de créativité, l’universitaire cite Pablo Picasso : « Tout acte de création est d’abord un acte de destruction» – un concept qui trouve écho dans l’œuvre de l’économiste Joseph Schumpeter ayant établi la notion de destruction créatrice dans son livre « Capitalisme, Socialisme et Démocratie » -.
Si le terme est fort, la concrétisation de cette destruction n’est pas toujours radicale et peut prendre la forme d’altérations de l’existant pour une réinterprétation selon des codes plus contemporains, à l’instar de l’œuvre de Kim Dong Kyu qui réinvente l’œuvre de Caillebotte en plaçant des smartphones dans les mains des personnages de l’œuvre originale.
« C’est ce que j’appelle de l’innovation soft, une manipulation grâce au digital d’un certain nombre d’images qui permet de rebondir et d’impliquer une nouvelle lecture » précise le professeur. Une forme d’innovation souvent critiquée par les mauvais leaders et les esprits étroits d’après lui, mais qui a toute sa place dans le monde créatif.
« Pour innover, une société a le devoir de se remettre en question, d’envisager de faire les choses à l’inverse de ses habitudes » rappelle Christian Monjou. On appréciera les meilleurs exemples dans l’architecture, qui défie les codes établis tels que la symétrie parfaite des immeubles, la stabilité dans un monde en mouvement, pour donner naissance à des œuvres majeures comme l’immeuble de Frank Gery à Prague, mimant les pas de danse de Ginger Rogers et Fred Astaire.
L’innovation peut donc prendre plusieurs formes comme l’altération, la subversion ou même l’humour comme avec les œuvres de Banksy. Mais son essence, son intérêt premier est dans la concrétisation plus que dans l’idée.
La place du leader
« Donnez leur légitimité aux jeunes en apprenant d’eux, et vous verrez qu’ils vous la rendront en vous écoutant » conseille l’enseignant. Le reverse mentoring est pour Christian Monjou une condition nécessaire au succès d’une entreprise et de la société au sens large. Cela dit, « l’innovation n’est pas tant l’émergence du nouveau que le retour d’un ancien auquel plus personne ne pensait » ajoute-t-il. « Plus vous avez une grande tradition créatrice, plus vous êtes armés pour l’innovation » citant l’exemple de la maison Vuitton qui réinvente chaque années ses produits emblématiques. L’innovation trouve donc sa force dans la rencontre, l’échange qui mêlent l’histoire au présent, sous le spectre des nouvelles technologies. La place du leader est donc de créer l’émulation autour, plus que de définir une ligne de conduite car selon le professeur : « Le leadership est légitime s’il rend les autres innovant ». Le leader n’a donc pas sa place devant mais au centre, ce qui dérange les mauvais « leaders ».
Punchlines ?
– « L’innovant est une proie pour les non innovants »
– « Notre spécificité d’humain va nous être ravi par les robots »
– « Say it, no ideas but in things »
– « L’ordinateur est parfait au moment où vous ne pouvez plus l’être »