#Atelier574 – Francis Pisani, « innover, c’est désobéir »
« Je ne suis pas certain de l’exactitude de l’expression « villes intelligentes ». Ce qui est certain, c’est que maintenant que plus de la moitié de l’humanité vit dans les villes et que la population urbaine va doubler dans les 35 ans, il va falloir innover ». C’est ainsi que Francis Pisani – journaliste, professeur et spécialiste des technologies de l’information et de la communication – introduisit sa conférence « Smartcities, entre Datapolis et Participolis » au 574 de Saint-Denis. Tout savoir de son intervention sous forme de fiche de révision :
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Par La Redaction
Bientôt le début de la nouvelle #Conf574 au 574 de Saint-Denis: voyage au coeur de la #smartcity de demain avec @francispisani pic.twitter.com/ZoK0LpHsky
— SNCF Digital (@SNCF_Digital) 31 mars 2017
Qui ?
Francis Pisani est journaliste pour des organes de presse dont vous n’avez sûrement pas entendu parler (Le Monde, Libération…), professeur au sein d’universités tout autant inconnues (Berkeley, Stanford…), écrivain, blogueur, conférencier et spécialiste des technologies de l’information et de la communication. Fait d’arme notable : il a, entre 2011 et 2012, occupé le meilleur job de la planète – faire le tour du monde à la recherche d’innovations -. Et il cite Brian Eno.
Où ?
Au 574 de Saint-Denis, lieu dédié à l’innovation digitale au sein de SNCF et placé au cœur de la ville ayant vu naître le meilleur des groupes de rap français.
Les grandes idées de la conférence ?
– Le terreau de l’innovation : sérendipité, diversités, entropie et droit à l’échec.
Pas de « ville intelligente » sans innovation : définissons tout d’abord les conditions d’émergence de cette dernière. Francis Pisani commence par présenter une forêt tropicale à son audience: « l’innovation n’a rien à voir avec la production, qui est quelque chose de contrôlé. Au contraire, l’innovation est liée à la sérendipité, le hasard heureux ».
Afin d’illustrer son propos, il présente la photo d’un incubateur – censé être un épicentre d’innovation – où les portes fermées empêchent spatialement la possibilité de connexions, de dialogues et d’échanges. Deuxième élément nécessaire à l’innovation : les diversités. Multiples, elles sont à considérer aussi bien sur les types d’entreprenariats (entrepreneur business, social, activiste…) que sur les genres, ethnies et cultures – à ce titre, Francis Pisani rappelle que 50% de startups de la Silicon Valley ont un fondateur né hors des USA -.
Troisième condition de l’innovation: le désordre. Francis Pisani rappelle que ce dernier peut être introduit au sein d’une entreprise. Il illustre par le cas d’un hôpital ayant demandé à une équipe de Formule 1 de revoir l’ensemble de leurs modes opératoires : « en suivant leurs conseils, l’hôpital a tout refait et a réduit accidents et problèmes de communication de 50%. Faire entrer de l’imprévu, de l’inconnu et de l’externe dans une organisation est une démarche fondamentale ». Autre condition de l’innovation : le droit – et la valorisation – du risque et de l’échec. Rappelant Idriss Aberkane lors d’une précédente conférence, Francis Pisani développe en donnant l’exemple d’une coupe récompensant « l’échec héroïque » et d’un wok servant d’antenne parabolique: « si nous n’échouons pas, c’est que nous n’avons pas essayé d’aller assez loin ».
– Qu’est-ce qu’une ville intelligente ?
Vigilance et pluralité sont de mises quand il s’agit de définir la « ville intelligente ». L’expression est torpillée d’entrée de jeu par Francis Pisani : pour lui et d’autres (il cite ici Jean-Louis Missika), la terminologie « ville intelligente » est un pléonasme, « les humains n’ayant rien inventé de plus intelligent que les villes ». L’expression « ville durable » ne trouve pas plus grâce à ses yeux : « l’Homme n’a rien fait de plus durable que la ville, cette expression cache souvent un discours creux. Le développement durable appliqué à la ville c’est autre chose, maisles « villes durables » ne veulent rien dire ». D’autres définitions plus construites (« une ville dans laquelle les technologies digitales sont intégrées à toutes les fonctions ») méritent également une certaine suspicion, lorsque l’on sait qu’elles émanent des mêmes entités qui fournissent les services de digitalisation de la ville (exemple du Smart City Council) Qu’est-ce qu’une ville intelligente ? La réponse se trouve dans le titre de la conférence : c’est un processus à la croisée de l’innovation technologique (datapolis) et de la cité participative (participolis).
En somme, les avatars de la digitalisation (IoT, Big Data, connectivité, Data Mining, IA…) ne sont rien sans implication citoyenne. Un exemple de ce syncrétisme est donné par un jeune indonésien, lauréat de Netexplo en 2012. A Jakarta – « sans doute l’une des villes où la circulation est la plus mauvaise, problématique et lente » -, il eut l’idée d’utiliser des caméras en circuit fermé préexistantes, de façon à observer et mettre en ligne l’activité d’un carrefour à un moment donné. Les habitants commencèrent à leur tour à ajouter des informations sur la situation du trafic, puis des entreprises et la municipalité se joignirent à l’initiative : « Nous voyons comment une résolution citoyenne contribue à améliorer l’une des plus grandes villes du monde ».
Enfin, la notion de « ville intelligente » devient inextricable de celle de « développement durable ». En Espagne, c’est le développement des éoliennes sans palmes. En Hollande, c’est le financement de la rénovation énergétique des logements par les économies réalisées. En Europe, c’est la question du chauffage et de la réfrigération dans les villes au niveau des quartiers. « Inégalités, pollution… Comprenons bien que la plupart des problèmes de l’humanité se posent dans nos villes : c’est donc là qu’il faut les résoudre ».
Et SNCF dans tout ça ?
Francis Pisani a tout d’abord effectué un lien indirect avec SNCF. Le conférencier n’aura de cesse de rappeler que l’écueil d’une grande entreprise est de préférer une structure pyramidale et très ordonnée, empêchant selon lui toute possibilité d’innovation. Il met ensuite en garde contre la très en vogue « innovation de rupture » : « Il faut bien comprendre que l’innovation part souvent de la copie et de l’adaptation. L’adaptation exige des micro-innovations. Attention donc à l’innovation de rupture, tout le monde n’est pas le nouveau Steve Jobs et une entreprise ne peut pas reposer son développement sur cette éventualité. L’innovation ne doit pas venir du « service innovation », il faut que tout le monde y participe, c’est une question de culture». Appuyant cette notion de culture, il esquinte au passage le mythe tenace de la réticence de la base face au changement : « Mon impression ? En France, il y a tout en haut des gens qui sont ouverts, tout en bas de gens qui ont envie de faire des choses, et au milieu il y a des gens qui ont peur que ça bouge ».
#Conf574 Exemple de transformation urbaine: à Medellìn, la politique de mobilité a permis de transformer la ville en profondeur pic.twitter.com/fbZ4lFzAnu
— SNCF Digital (@SNCF_Digital) 31 mars 2017
Enfin, sur la mobilité propre, Francis Pisani rappelle que cette dernière – bien que menacée de multiples façons (terrorisme, politiques communautaristes…) – est une condition de la ville intelligente. Afin de sous-peser le poids de la mobilité dans la reconstruction urbaine, le professeur donne l’exemple de Medellin, ville la plus dangereuse du monde en 1990. « Medellin a été complètement bouleversée pour devenir en 2012 la ville la plus intelligente du monde pour certaines classifications. Comment ? En désenclavant les bidonvilles grâce aux téléphériques et escaliers roulants. Non seulement ces deux moyens permettaient aux gens d’arriver au centre-ville rapidement, mais ils ont incité des entreprises et universités à s’installer dans les hauteurs de la ville. La politique de mobilité pratiquée à Medellin, sans technologie extraordinaire ou beaucoup d’argent, a permis une véritable transformation urbaine ».
Les exemples des impacts de la mobilité – toujours plus connectée et branchée sur les dernières innovations technologiques – ne manquent pas : le projet d’autoroutes cyclistes londonien, le suivi des piétons à La Rochelle pour tracer de nouveaux itinéraires, le développement de nouveaux modes dédiés au dernier kilomètre (trottinette…) ou encore des véhicules autonome (Navya)… Francis Pisani conclue en se focalisant sur les gares, ces espaces de transit transformés en lieux de vie : « la gare qui passe de destination en point de passage prouve qu’elle se branche enfin sur les flux : c’est un saut qualitatif fabuleux ».
Punchlines ?
– «Je rappellerai l’un des aphorismes de Carlson: ce qui vient du bas est chaotique et intelligent, ce qui vient du haut est bête et ordonné»
– «En suivant la logique de Brian Eno, le génie collectif a besoin d’une scène, d’un lieu ; dans toute organisation, il est important de penser à cette notion d’espace ouvert»
– «Les diversités ethniques et culturelles sont fondamentales, on les ignore trop en France comme dans d’autres endroits »
– «La meilleure remarque a été faire pas un de mes élèves : innover, c’est désobéir»
– «Si vous ne posez pas de questions, je ne continue pas»
#Conf574 #VendrediLecture Connectivité, mobilité, innovation... S'immerger au coeur des villes intelligentes avec @francispisani: pic.twitter.com/Ujut0Tg2Km
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