#Atelier574 – Information et crédulité contemporaines, par Gérald Bronner
Pourquoi l’apparition d’Internet a-t-elle entrainé une dérégulation du marché de l’information ? Quelles sont les conséquences sur la démocratie ? Dans cette conférence au 574 de St-Denis, Gérald Bronner, sociologue et auteur, explique la particularité qu’a le cerveau de confirmer l’information plutôt que de l’infirmer, et comment lutter contre ce mécanisme naturel.
Publié le
Par La Redaction
Qui ?
Gérald Bronner est un sociologue, professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot, et romancier. Il est l’auteur notamment de « L’Empire des croyances » paru en 2003, « La Pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques » en 2009, ou encore de « La Démocratie des crédules » en 2013
Où ?
Au 574, le siège parisien de la Direction Générale e.SNCF situé à Saint-Denis (93), soit à environ 342 kilomètres de la ville de Londres en Angleterre, où le premier aspirateur électrique a été inventé par Hubert Cecil Booth, en 1901.
Quand ?
Jeudi 15 novembre 2018, soit 101 ans jour pour jour après la mort du sociologue français Émile Durkheim, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne.
Grandes idées
Dérégulation du marché de l’information
Depuis l’arrivée de la télévision et surtout d’Internet, le marché de l’information est dérégulé, ce qui crée de fortes perturbations. Il y a aujourd’hui autant d’individus que de diffuseurs d’information, puisque chacun peut relayer une information ; via les réseaux sociaux, par exemple. Il n’y a donc jamais eu autant d’informations disponibles dans toute l’histoire de l’humanité, ce qui a des conséquences positives, mais aussi des effets pervers. Le problème ne réside pas dans la disponibilité de l’information, mais dans sa visibilité. « Plus il y a de l’information disponible, plus la probabilité de chances d’en trouver au moins une qui convienne à nos idées est importante », précise Gérald Bronner. Cela s’explique par ce qu’on appelle le biais de confirmation, c’est-à-direla façon dont nous avons testé une information en essayant de la confirmer plutôt que de l’infirmer.
Beaucoup d’études montrent qu’Internet a amplifié ce biais d’information. On va donc chercher l’information qui va dans le sens de nos croyances préalables, alors que la bonne façon de procéder serait plutôt de chercher des contre-exemples.
« Par exemple, les argumentaires anti-vaccins existent depuis très longtemps dans des espaces de radicalité religieuse, mais il n’y avait pas de journaux pour ouvrir leurs tribunes à ces personnes anti-vaccins. Le fait d’avoir créé une zone de porosité entre toutes ces informations a créé un climat de méfiance en France vis-à-vis des vaccins. Aujourd’hui, plus de 40% de citoyens français se méfient des vaccins, alors qu’ils n’étaient que 9% au début des années 2000 », développe le sociologue.
« Ainsi, dans cet océan d’informations, nous avons tendance à créer des positions d’insularité cognitive. Il y a aussi un curieux croisement entre le fonctionnement de notre cerveau et le fonctionnement des algorithmes, c’est-à-dire que les algorithmes ont tendance à nous enfermer dans la fréquentation du _même_ », précise Gérald Bronner. Pour expliquer cela, le sociologue prend comme exemple l’achat d’un livre sur Amazon : « L’algorithme fera des propositions dans le sens de ce que l’on a déjà approuvé ou consommé. Cela aboutit à un effet d’insularité et à la création de chambres d’écho) », ajoute-t-il.
Asymétrie de motivation sur le marché de l’information
Il se construit une asymétrie de motivation sur ce marché. Ceux qui sont les plus motivés à faire valoir leur point de vue apparaissent par exemple en premier sur les recherches Google. « Les plus motivés sont ceux qui développent des croyances radicales, tout simplement car avant, ils n’avaient pas leur mot à dire, et ils profitent donc aujourd’hui entièrement de cet espace libre qui leur est offert », ajoute Gérald Bronner.
On constate donc une suractivité d’un certain nombre de groupes, ce qu’on appelle la tyrannie des minorités. Cela a été démontré chez les conspirationnistes, les anti-vaccins… Ce phénomène est un véritable problème, car il va entrainer des personnes indécises dans ce type de croyances radicales.
Ainsi, les « fake news » se diffusent beaucoup plus vite que les vraies informations. Selon la revue Science, des chercheurs ont montré que sur Twitter, les « fake news » se diffusaient six fois plus vite que les vraies infos.
Ne pas être crédule face aux informations fausses
Ces productions de fausses informations comptent sur le fonctionnement ordinaire du cerveau, car pour tromper le cerveau, il suffit de délivrer une information avec un contexte particulier. « Pour gérer ce problème, il faut être capable de retro-juger », explique Gérald Bronner. « Le retro-jugement est la capacité à revenir sur notre interprétation spontanée d’une information », ajoute-t-il.
Mais, revenir sur une option de décision que l’on a déjà prise demande un effort intellectuel énergivore, ce qui empêche le cerveau d’enclencher ce mécanisme en permanence. Il faut donc apprendre à reconnaitre les situations typiques où l’on est trompé, afin de mettre en place ce mécanisme au bon moment.
« La démocratie des crédules est une dystopie, c’est-à-dire que l’on n’en est pas encore là. En revanche, la démocratie de la connaissance est une utopie.
Il y a donc un bras de fer entre cette dystopie et cette utopie qui se joue en ce moment sous nos yeux, dont l’issue dépendra un peu de nous », conclut Gérald Bronner.
Punchlines
– « Plus il y a de l’information disponible, plus la probabilité de chances d’en trouver au moins une qui convienne à nos idées est importante ».
– « Dans cet océan d’informations, nous avons tendance à créer des positions d’insularité cognitive ».
– « Le retro-jugement est la capacité à revenir sur notre interprétation spontanée d’une information. »