#Atelier574 – Innovation et cerveau, par Lionel Naccache
L’étude du cerveau humain permet de comprendre comment le processus d’innovation se construit. Quelles sont ces ressources cérébrales qui génèrent la créativité ? Dans cette conférence au 574 de Saint-Denis, Lionel Naccache explique ce qui a permis à l’être humain de créer le langage ou de fabriquer des techniques nouvelles dans un temps court, alors que le cerveau ne change génétiquement que chaque million d’années.
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Par La Redaction
Qui ?
Lionel Naccache est neurologue et professeur de médecine spécialisé en physiologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il est également chercheur en neurosciences cognitives à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière et membre depuis 2013 du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé.
Où ?
Au 574, le siège parisien de la Direction Générale e.SNCF, situé à Saint-Denis (93), soit à environ 1877 kilomètres de la ville de Stockholm en Suède, où en 1932, les anglais Sir Charles Scott Sherrington et Edgar Douglas Adrian ont reçu le prix Nobel de médecine et de physiologie pour leurs découvertes sur les fonctions des neurones.
Quand ?
Jeudi 11 octobre 2018, soit 1 an jour pour jour après que le robot humanoïde Sophia a fait son introduction aux Nations Unies et a eu une brève conversation avec Amina J. Mohammed, la Vice-Secrétaire générale de l’organisation internationale.
Grandes idées
Le paradoxe cérébral de l’innovation
Un bébé humain qui est né il y a 10 000 ans possède le même cerveau génétique qu’un enfant né en 2018, car il faut un million d’années pour que s’opère un changement génétique. Pourtant, durant cette période de 10 000 ans, les changements culturels ont été gigantesques et l’être humain a produit un ensemble d’innovations sociétales, technologiques, intellectuelles et artistiques de grande ampleur. « Le paradoxe est que nous avons réussi à produire de l’innovation alors que notre cerveau n’a pas changé » explique Lionel Naccache.
Le recyclage neuronal
La première clef qui permet d’expliquer ce paradoxe est le recyclage neuronal. Même si notre cerveau de primate n’a pas eu le temps d’évoluer génétiquement, nos compétences, elles, ont eu le temps de se développer. « Pour implémenter une nouvelle compétence, nous allons donc utiliser un réseau du cerveau qui mime une action que l’on a envie de faire. Puis, lentement, nous allons transformer par des influences culturelles, éducatives et sociales la spécialisation de ce réseau cérébral, pour arriver à lui faire implémenter une spécialisation qui n’était pas programmée initialement » développe le neurologue et professeur.
Par exemple, une étude conduite par Lionel Naccache, Laurent Cohen et Stanislas Dehaene a montré que la région cérébrale qui apprend à reconnaître des mots se situe au même endroit chez tous les humains. Cette découverte est paradoxale, puisque notre cerveau n’est pas prévu génétiquement pour savoir lire, pourtant, les humains ont développé le même réseau pour cette fonction. Cela signifie que nous utilisons tous un même réseau qui était conçu pour autre chose et que nous l’avons recyclé pour la lecture.
La plasticité cérébrale
La seconde clef qui explique ce paradoxe est la plasticité du cerveau. Le cerveau est en effet un organe plastique qui va être en permanence modifié de manière subtile par l’expérience à l’environnement et l’éducation. « Le cerveau, à la différence des autres organes, est conçu génétiquement pour être modifié par son environnement » précise Lionel Naccache. La plasticité n’est néanmoins pas magique. Il y a beaucoup de facteurs qui la limitent, tels que l’âge – nous n’avons pas autant de plasticité à 80 ans qu’à 4 ans.
Par exemple, une étude a été faite sur des chauffeurs de taxis londoniens. Il a été démontré que les chauffeurs avaient beaucoup plus développé leur « GPS cérébral » (situé dans l’hippocampe) que des personnes lambda, car ils pratiquaient au quotidien la navigation dans une ville complexe.
La motivation
« Pour réussir à produire de l’innovation, la motivation est également un des leviers qui permet de pousser plus loin un niveau de fonctionnement en termes de performance motrice ou cognitive » explique Lionel Naccache. Dans la structure du cerveau, nous avons donc ce qu’on appelle des « noyaux », dont la fonction est d’être la base biologique de la motivation.
Par exemple, il existe des cas de patients très rares qui présentent des lésions dans ces régions-là. Ces patients peuvent développer un mutisme akinétique, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas bouger de leur lit, marcher ou encore manger. Pourtant, leur motricité est normale, le seul problème est qu’ils n’arrivent plus à motiver la moindre action à cause de cette atteinte du système de motivation.
La recette de la créativité en 4 étapes
Pour comprendre comment fonctionne la créativité dans le cerveau humain, une recette a été établie dans les années 1950-60 afin d’expliquer les découvertes d’Albert Einstein et de Raymond Poincaré.
– Première étape pour résoudre un problème, il faut d’abord passer par une phase de préparation, c’est-à-dire s’investir consciemment dans le problème et apprendre de nouvelles connaissances sur un sujet.
– Ensuite, il faut entrer dans une phase d’incubation, donc ne plus penser au problème et faire des activités simples comme marcher, dormir et rêver.
– Troisièmement, on passe dans une phase d’illumination où on va trouver la clef du problème – c’est une irruption sur la scène consciente de quelque chose qui a été préparé de manière inconsciente.
– Enfin, on entre dans une phase de vérification, où l’on va s’assurer que l’on a trouvé la bonne solution au problème.
Punchlines
– « Le paradoxe est que nous avons réussi à produire de l’innovation alors que notre cerveau n’a pas changé. »
– « Le cerveau, à la différence des autres organes, est conçu génétiquement pour être modifié par son environnement. »
– « Pour réussir à produire de l’innovation, la motivation est également un des leviers qui permet de pousser plus loin un niveau de fonctionnement en termes de performance motrice ou cognitive. »