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#Atelier574 – « Quelle est cette mutation fiévreuse qui nous inquiète parfois ? » par Daniel Cohen.

Dans cette conférence au «574», Daniel Cohen explique les changements économiques et sociétaux qui ont menés à la création de la société numérique actuelle. En partant de 1968, époque où la contre-culture aspire à plus d’humanité et de liberté, il démontre que les craintes et les interrogations de l’époque sont toujours d’actualité aujourd’hui. Comment s’est construite cette société numérique ? Quels sont les scénarios envisageables dans le futur ? Autant de questions que l’économiste et auteur pose pour ouvrir un débat sur la vision de la société dans laquelle nous vivons.

Publié le

Par La Redaction

Daniel Cohen

Qui ?

Daniel Cohen est un économiste français spécialiste de la dette souveraine. Il est directeur du département d’économie de l’École Normale Supérieure, vice-président de l’École d’économie de Paris, dont il a été l’un des membres fondateurs, et directeur du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP). Il est également l’auteur de nombreux ouvrages, tels que « Il faut dire que les temps ont changé » aux éditions Albin Michel en 2018 et « Les Origines du Populisme », co-écrit avec Yann Algan, Elizabeth Beasley et Martial Foucault, et publié aux éditions du Seuil en août 2019.

Où ?

Au 574, le siège parisien de SNCF Digital situé à Saint-Denis (93), soit à environ 304 kilomètres de Liège, en Belgique, où a été créée la Compagnie Internationale des wagons-lits en 1872.

Quand ?

Jeudi 12 septembre 2019, soit 110 ans jour pour jour après le dépôt de brevet du premier caoutchouc synthétique par le chimiste allemand Fritz Hofmann.

Les temps ont changé

De fait nous entrons à partir des années 80-90 dans un monde post-industriel où l’industrie ne représente plus par exemple en France que 13% des emplois.

Daniel Cohen - Docteur & agrégé de sciences économiques

Pour introduire cette conférence, Daniel Cohen reprend le propos de son ouvrage « Il faut dire que les temps ont changé », dont le titre est un clin d’œil à la chanson de Bob Dylan Times they are changing, pour expliquer les changements économiques et sociétaux depuis 1968 à nos jours. « En 1968 ce qui fait rage, c’est une contre-culture dont Bob Dylan aux États-Unis est l’expression, ce qu’elle exprime c’est un immense refus de la société industrielle de cette époque-là. Ce que l’on reprochait à ce moment à cette société industrielle, c’était au fond deux choses : c’était une critique sociale et une critique artiste. Aujourd’hui, avec le recul, je dirais plutôt une critique humaniste » explique-t-il. La critique sociale provient du fait que les ouvriers sont dans un mode de production totalement hiérarchique, un monde d’obéissance, tout en verticalité, qui est complétement décalé par rapport à la jeunesse de cette époque qui aspire à un monde de liberté. La critique artiste est une critique de la société de consommation, qui dénonce cette société industrielle qui touche à ses limites. « Quand tout le monde aura son téléviseur et son téléphone, il n’y aura pas d’au-delà à cette société industrielle » ajoute l’économiste.

L’insécurité économique est l’un des facteurs qui nous explique une réaction aux partis politiques traditionnels, que nous appelons dans le livre « Les Origines du Populisme » une réaction anti-système.

Daniel Cohen - Docteur & agrégé de sciences économiques

Dans les années 1970 et surtout 1980, les temps ont en effet changé mais pas dans le sens où l’avait imaginé Bob Dylan. « On entre à partir des années 80 dans une période de désindustrialisation, parce qu’il y a besoin de moins en moins de gens pour produire des biens dont la demande sature. De fait nous entrons à partir des années 80-90 dans un monde post-industriel où l’industrie ne représente plus par exemple en France que 13% des emplois » développe-t-il. Alors que les « hippies » ont pour prévision la fin du capitalisme, c’est l’inverse qui se passe et il se réinvente. Se produit ainsi un « re-engineering » de la société que la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher va permettre. L’organisation de la société à l’époque verticale devient alors plus horizontale avec l’embauche de sous-traitants pour effectuer une majorité des tâches dans les entreprises. « L’avantage de la sous-traitance du point de vue du management, c’est que cela permet de mettre en concurrence les prestataires » explique l’auteur. « Le capitalisme a trouvé une méthode pour se réinventer d’une manière qui pour lui est susceptible de générer du rendement et de la productivité en minimisant constamment les coûts et en imprégnant une pression concurrentielle accrue sur ces différents segments. 80% des inégalités sociales s’expliquent par ce point » ajoute-t-il.

« L’insécurité économique est l’un des facteurs qui nous explique une réaction aux partis politiques traditionnels, que nous appelons dans le livre « Les Origines du Populisme » une réaction anti-système. On assiste ainsi à une montée partout, en Europe comme aux États-Unis, d’une gauche et d’une droite radicales qui s’opposent aux partis politiques traditionnels de manière corrélée symétriquement à cette insécurité économique » conclut Daniel Cohen.

Vers une société numérique

« La société des années Reagan et Thatcher ne se satisfait pas d’une économie sans croissance, il y a une pression du côté du capitalisme au rendement et de la société du côté du pouvoir d’achat. Donc la question est de comment trouver de la croissance dans une société qui ne s’y prête pas, c’est-à-dire une société de services » introduit-il. Pour répondre à cette problématique de croissance, « la société va alors transformer l’humain dont il s’agit de s’occuper en un ensemble de données qui permettent quand cet humain aura été digitalisé de s’occuper de lui par algorithmes interposés » ; c’est le début de la société numérique telle que nous la connaissons aujourd’hui. « On retrouve donc actuellement la même critique humaniste que l’on avait dans les années 60, à savoir qu’est-ce qui va survivre de la relation inter-individuelle ? Peut-être que l’on comprend aussi que la déshumanisation et la croissance économique sont la même chose, car la croissance économique exige de la déshumanisation, en exigeant de produire à plus grande échelle » argumente l’économiste.

Plus on s’éloignera du sommet de la société qui produit des logiciels, moins on aura de travail humain, plus on aura une société profondément inégalitaire. C’est le scenario de la mort, car aucune société ne peut résister à une explosion des inégalités, mais la logique productiviste peut aller dans ce sens-là.

Daniel Cohen - Docteur & agrégé de sciences économiques

Pour finir et ouvrir le débat, Daniel Cohen se demande si un monde numérique signifie un monde sans travail ? Ou est-ce qu’un autre scénario est possible ? Selon lui, deux scénarios sont envisageables. Le premier scenario est celui où toutes les images d’horreurs de robots et d’algorithmes qui se substituent à l’être humaine se réalisent. Alors, est ce que cela veut dire qu’il n’y aura plus de travail humain ? Non, cela veut dire que, dans un monde où tout est numérisé, il restera une domesticité, des médecins, des précepteurs et des cuisiniers pour tous ces gens qui créent le numérique comme Mark Zuckerberg ou encore tel que Bill Gates. « Plus on s’éloignera du sommet de la société qui produit des logiciels, moins on aura de travail humain, plus on aura une société profondément inégalitaire. C’est le scénario de la mort, car aucune société ne peut résister à une explosion des inégalités, mais la logique productiviste peut aller dans ce sens-là » commente-t-il.

Le Scenario B est celui où les logiciels sont des aides à la décision humaine, c’est-à-dire que le médecin ou l’infirmier vont utiliser les données qui sont mises à disposition pour améliorer l’efficacité du bien qui est produit. Ce scénario est celui de la complémentarité entre l’humain et la technologie. « Et c’est, je crois comprendre, ce que vous cherchez à faire ici en vous dotant in situ des moyens de vous approprier ces technologies au service de votre tâche centrale » conclut Daniel Cohen.

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