Conf’ 574 – « Le Nudge appliqué au transport public » par Nicolas Fieulaine et Isabelle Collin
Dans cette conférence au « 574 », Nicolas Fieulaine et Isabelle Collin expliquent ce qu’est le « Nudge » et en quoi l’utilisation des sciences comportementales est utile pour le transport public, et plus largement pour la société. Comment modifie-t-on donc les comportements sans contraintes ? Explications des membres de la Nudge Unit de Transilien.
Publié le
Par La Redaction
Qui ?
Nicolas Fieulaine est chercheur à l’Université de Lyon et à la Chaire Innovation Publique ÉNA/ENSCI. Il est également directeur scientifique de la Nudge Unit SNCF Transilien et enfin, fondateur de NFE études en Sciences Comportementales Appliquées. Isabelle Collin, quant à elle, est responsable de la Nudge Unit SNCF Transilien.
Où ?
Au 574, le siège parisien de SNCF Digital situé à Saint-Denis (93), soit à environ 7390 kilomètres de Mountain View, en Californie, un des grands pôles de la Sillicon Valley, où siège notamment Google.
Quand ?
Mardi 2 février 2021, soit 396 ans jour pour jour après la fondation de la ville de New York, aux États-Unis, appelée à l’époque La Nouvelle-Amsterdam.
Le Nudge, une branche prometteuse des sciences comportementales
« Nous sommes tous, aujourd’hui, face à des enjeux majeurs de comportements, nous avons tous des habitudes plus ou moins bonnes et savons qu’il y a des impératifs à transformer les cultures, les comportements et les normes pour aller vers des comportements plus vertueux, qui nous permettront de sauver l’écosystème. Evidemment, la mobilité et les espaces de mobilité sont au cœur de ces enjeux environnementaux. Nous savons que les comportements des voyageurs-es génèrent des problématiques de surcharge d’espace, de flux, de sécurité, de propreté… et qu’il y a une vraie marge à gagner dans ces espaces publics de transport » introduit Nicolas Fieulaine.
Comment les sciences comportementales et la psychologie peuvent-elles aider à modifier des comportements profondément ancrés ? Les lieux des transports publics ne sont pas uniquement des lieux de perturbation, mais sont aussi des endroits où se construisent des solidarités, où les gens se rencontrent et échangent de manière plus ouverte qu’ailleurs, et donc où se fabrique le lien social.
Les sciences comportementales sont au croisement de trois sciences : la psychologie, les sciences cognitives et les neurosciences. Ce que montrent ces sciences, c’est que l’humain fonctionne de manière irrationnelle mais prévisible, car un humain raisonne par rapport à un contexte. « Ainsi, nous pouvons agir sur le contexte et les environnements et donc transformer le comportement. Les lieux publics peuvent donc devenir des lieux incitatifs, qui vont aider les gens à réaliser leurs bonnes intentions et à avoir les meilleurs comportements pour l’intérêt de tous » explique-t-il. Par exemple, on peut redonner un caractère attractif à l’escalier pour inciter les gens à le prendre plutôt que l’escalator qui le jouxte. C’est ce qui s’appelle les architectures de choix.
L’ambition de toutes ces expérimentations est d’améliorer la performance de l’entreprise et de mieux comprendre les clients. Nos trois champs d’intervention sont la gestion de flux, l’information et le voyageur, acteur de l’individuel Mass Transit.
« Notre cerveau fonctionne sur deux systèmes, un système réfléchi composé de concentration et d’effort notamment, et un système plus automatique, composé de réflexes et d’intuition. Il faut donc s’attarder sur ce second système et le prendre en compte, car s’il y a quelque chose à retenir de la spécificité de l’humain, c’est qu’il est un paresseux, c’est-à-dire un économe cognitif qui cherche à préserver ses ressources tant qu’il le peut », développe-t-il. Les neurosciences montrent que l’émergence du digital fait que nous sommes face à une somme colossale de données par jour, le cerveau essaie donc de s’adapter et prend de plus en plus de raccourcis pour se préserver.
« Le Nudge, c’est donc comment on arrive à modifier les comportements en s’appuyant sur les données des sciences cognitives, de la psychologie et ainsi, en modifiant tel ou tel élément de perception, on sait quel effet cela aura sur les comportements et les décisions. Le Nudge permet d’aider à passer à l’action puis ensuite cela crée une sensibilité, soit l’inverse de ce qui était fait avant, sensibiliser d’abord pour aider à passer à l’action » explique-t-il. « Il y a un cadre éthique bien sûr, qui consiste à aider à l’autonomie dans la prise de décision et non à la réduire, il faut donc de la pédagogie, de la transparence mais aussi de l’évaluation » ajoute-t-il.
Le Nudge dans le transport public
Cette approche de « Nudge » se déploie de plus en plus dans le monde entier au sein des entreprises, des gouvernements, des organisations, des collectivités territoriales… Ces collectivités sont en ce moment très intéressées par cette science pour servir au transport public, afin de diminuer le flux en heures de pointe notamment. « Sur l’expérience voyageur en mobilité, nous avons réussi à modéliser les points suivants : le temps, le contrôle, l’espace, le soi et les autres », explique Nicolas Fieulaine.
La Nudge Unit de Transilien est une équipe dédiée à la mise en place des sciences comportementales pour répondre à des problématiques majeures du « mass transit ». « Le Nudge, c’est quelque chose qu’on a découvert à la SNCF vers 2015 et on a rapidement compris l’intérêt que cela pourrait avoir d’importer toute cette connaissance et de réaliser des expérimentations » explique Isabelle Collin. Pourquoi ? Tout simplement parce que de nombreuses problématiques liées au comportement voyageur vont avoir un vrai impact sur la sécurité ou la qualité de service.
« L’ambition de toutes ces expérimentations est d’améliorer la performance de l’entreprise et de mieux comprendre les client-es. Nos trois champs d’intervention sont la gestion de flux, l’information et le/la voyageur-se, acteur de l’individuel Mass Transit » ajoute-t-elle.
Le Nudge, c’est donc comment on arrive à modifier les comportements en s’appuyant sur les données des sciences cognitives, de la psychologie et ainsi, en modifiant tel ou tel élément de perception, on sait quel effet cela aura sur les comportements et les décisions.
Un protocole scientifique a donc été mis en place avec six étapes, les observations, les entretiens avec les agents, les entretiens avec les voyageurs-es, les leviers psychosociaux, l’expérimentation, et enfin l’analyse et la restitution. La phase créative est bien entendu très importante pour concevoir le bon Nudge, il faut donc s’associer à de très bons créatifs. Ce protocole dure environ quatre à six mois. Il emprunte à la fois à la démarche d’innovation et au protocole académique et scientifique. « Si le protocole a bien fonctionné et qu’on perçoit la capacité de généralisation, on va ensuite le développer et l’industrialiser » précise-t-elle.
Depuis cinq ans, la Nudge Unit a réalisé une quinzaine d’expérimentations. Parmi elles, les cas emblématiques ont porté sur l’amélioration de la circulation en gares, en rendant visibles les choix de parcours. « À Rosa Parks, au Champ de Mars, à Saint-Denis, ou encore à Roissy-en-Brie, nous avons donc développé l’architecture des choix pour les voyageurs-ses et rendu les choix rationnels en les mettant en valeur. Par exemple, des codes couleur et des fils d’Ariane rendent cohérents les parcours de circulation en gare » conclut-elle.