Conf’574 – « La data au service de la santé » par Kamel Zeroual.
Dans cette conférence au « 574 » Occitanie, Kamel Zeroual, partner chez Serena Capital, répond aux questions de William Sadrin, IoT evangelist chez IoT Valley, un écosystème de start-ups et d’entreprises partenaires basé à Toulouse. Quelle sera la médecine de demain ? Quels sont les enjeux majeurs de celle-ci, et notamment en France ? Quel est le rôle d’une structure d’investissement comme Serena Capital dans la construction de cette nouvelle manière d’envisager la santé ?
Publié le
Par La Redaction
Qui ?
Kamel Zeroual est partner chez Serena Capital, une structure d’investissement créée en 2008 par Xavier Lorphelin, Marc Fournier et Philippe Hayat.
Où ?
Au 574 Occitanie, à Toulouse (31), soit à environ 400 kilomètres de la Station spatiale internationale (ISS), où l’astronaute français Thomas Pesquet a passé 200 jours en 2021.
Quand ?
Vendredi 26 novembre 2021, soit trois ans jour pour jour après que la sonde InSight a atteint le sol martien.
« Je pense qu’il y a un vrai changement de paradigme en termes de digitalisation de la santé, on doit la réinventer au sens large. Il y a un programme très ambitieux lancé par l’AP-HP autour de la santé de demain, afin de prévenir un certain nombre de risques de santé chez les patients, à les suivre et à les traiter. La population augmente, mais le nombre de praticiens, lui, n’augmente pas malgré l’arrêt du numerus clausus, il va donc falloir que le logiciel au sens large vienne aider les praticiens à accompagner encore plus de patients » introduit Kamel Zeroual.
Les enjeux de la technologie dans le domaine de la santé
La donnée :
Aujourd’hui, la donnée médicale est un enjeu quasi souverain, il existe une sensibilité en France autour de la donnée de santé qui est assez accrue, mais le pays est plutôt en avance de phase là-dessus. « Nous avons de gros opérateurs dans la santé, côté scale-up je pense bien sûr à Doctolib qui est dans les rangs pour jouer un rôle majeur dans les prochaines années » précise-t-il. Au niveau du Cloud, il y a OVH, mais aussi beaucoup d’outsiders qui font des dossiers patients sécurisés, sur lesquels ils ont une vraie expertise en tant que français côté cybersécurité. Cela va être intéressant de voir comment tous ces acteurs vont naviguer à l’avenir.
« Pour avoir l’adhésion des patients à ce type de technologies, il faut bien évidemment des garde-fous, car ce sont des sujets sensibles, mais l’usage et l’appétence des patients sont plus que présents » explique-t-il. Aux Etats-Unis, le garde-fou principal est la FDA (Food and Drug Administration) pour accéder au marché américain et en France, il y a le marquage CE. Est-ce que les règles vont s’assouplir et devenir plus fluides ? Sans doute, mais nous sommes déjà bien équipés, avec par exemple le Portail convergence santé du gouvernement, un outil pratique, pédagogique et auto-déclaratif pour les industriels du secteur santé et médico-social permettant de mesurer la conformité de leurs solutions, services et dispositifs à la doctrine technique du numérique en santé.
Il y a aussi un projet qui s’appelle le « Health data hub ». C’est un projet de mise en commun des données de santé de la sécurité sociale, qui a pour vocation de trouver des initiatives afin d’enrichir et de mutualiser les données, et ainsi de pouvoir aller plus loin dans la compréhension d’un certain nombre d’actions faites avec les patients. Implicity (NDLR : une start-up financée par Serena Capital) fait par exemple partie de ce programme en collectant des données de santé.
L’IA :
Au niveau de l’IA et de la médecine, l’imagerie médicale est le premier sujet. Il y a eu récemment un très gros succès suite au rachat de Cardiologs par Philips, c’est une excellente nouvelle pour tout l’écosystème, car le montant est significatif (plusieurs centaines de millions d’euros). « Cardiologs est une société purement logiciel et IA sur le sujet des ECG (électrocardiogrammes). Cet appétit des opérateurs historiques pour du software et de l’IA va inspirer des opportunités de plus en plus importantes. En France, nous avons une excellence côté software qui est très importante, plus on aura de succès comme celui-ci, plus l’accélération dans ce domaine sera signifiante » explique-t-il.
L’IoT :
« Pour avoir l’adhésion des patients à ce type de technologies, il faut bien évidemment des garde-fous, car ce sont des sujets sensibles, mais l’usage et l’appétence des patients sont plus que présents. »
« Concernant l’IoT santé, il y a de vrais enjeux d’équipements qui fonctionnent en « stand-alone », c’est-à-dire qui fonctionnent de manière très isolée et je pense qu’il y aura un changement de paradigme où les machines commenceront à travailler les unes avec les autres, à travailler avec des solutions Cloud pour avoir plus d’intelligence. Sur les hôpitaux, par exemple côté équipements, on est encore très loin d’avoir quelque chose d’efficient, il y a peu de produits qui discutent avec les autres, même si je pense qu’il y a quelques start-ups qui essaient. Nous n’en sommes qu’au début. » assure-t-il.
Sur les sujets liés aux objets, ce qui est sûr c’est que notre quotidien va changer, et qu’on va avoir de plus en plus d’objets intelligents complètement indolores, tels qu’un tapis de bain connecté, une brosse à dents connectée, un WC connecté… Les enjeux de ces capteurs à court et moyen terme sont principalement la confidentialité des données ou encore l’harmonisation des protocoles pour que les uns puissent travailler avec les autres. « C’est la data qui, demain, sera le nerf de la guerre » ajoute-t-il.
Comment aujourd’hui entrer sur le marché médical français ?
La majorité des cas de figure sont des entrepreneurs qui ont déjà une casquette médicale (médecins, pharmaciens, laborantins, infirmiers…) et donc une expertise métier. Ces professionnels vont donc de plus en plus vite à tester leurs idées, à trouver des « early adopters », et à valider si c’est une opportunité marché, si c’est un business ou une fausse bonne idée. En France, avec l’appui public tel que la sécurité sociale, c’est bien entendu plus compliqué que dans d’autres pays où les assurances privées jouent ce rôle-là. Quand on prend des maladies très répandues comme l’insuffisance cardiaque ou le diabète, qui sont le premier budget de la sécurité sociale, il est évident que tout ce qui peut réduire de près ou de loin ces budgets est bienvenu, par conséquent il y a beaucoup d’innovations et d’initiatives sur ces sujets-là, car les enjeux financiers sont immenses. Mais il y a aussi de plus en plus de Tech entrepreneurs qui s’attaquent à ce sujet sans forcément avoir de caution santé, comme Franck Le Ouay, le fondateur et CEO de Lifen, une plateforme de e-santé.
Le rôle de Serena Capital dans la santé de demain
« En tant qu’investisseur au sein de Serena Capital, je ne fais pas de biotech, ni de medtech, je cherche vraiment des sociétés qui sont dans la digitalisation et qui sont des facilitateurs technologiques » explique-t-il.
Ainsi, Serena Capital investit aujourd’hui sur les couches basses, c’est-à-dire les infrastructures, avec par exemple Lifen, dont l’enjeu est de devenir le « market access » de tous les hôpitaux et donc de rendre l’expertise technologique accessible. Lifen pallie ce manque actuel d’innovations médicales.
« Nous avons également investi sur Implicity, qui a pour usage de connecter la donnée santé des cinq fabricants dans le monde (Abbot, Medtronic Boston…) sur une plateforme sécurisée. C’est un logiciel qui permet d’améliorer la productivité des praticiens. Les projets sur lesquels je vais investir ont donc un accès au marché agile et peuvent rapidement délivrer de la valeur. » dit-il.
« Côté data, plus on a de patients, plus on crée de valeur. Le graal, c’est d’arriver à corréler des activités sur des centaines de milliers de patients, afin d’identifier des risques » explique-t-il. Par exemple, si tel patient de tel poids, tel rythme cardiaque, telle pression artérielle…. a eu un accident cardio-vasculaire, alors on peut identifier tous les patients qui ont les mêmes caractéristiques et prédire de manière assez fine qu’ils vont rentrer dans cette pathologie. « Côté sécurité encore une fois, il faut être très vigilant, donc nous avons des tests d’intrusion deux fois par an, des hébergeurs dont nous sommes sûrs… Et le garde-fou principal est que la donnée de santé n’est pas monétisable, nous sommes extrêmement vigilants là-dessus. La donnée médicale ne peut pas être un moyen de faire du business, c’est un moyen de rendre le software plus intelligent. Pour le bien commun, il va falloir réussir à corréler des informations de différents opérateurs, le graal ultime est donc de partager le savoir sans partager la donnée. Cela va être tout l’enjeu du futur » affirme-t-il.
En revanche, Serena Capital n’investit pas encore dans les sujets deep tech, mais fait de la veille active sur ce domaine. « Nos choix se portent sur des entrepreneurs qui ont une ambition scientifique poussée, mais qui ont aussi conscience des enjeux business au quotidien. Ce mix des deux est aujourd’hui encore dur à trouver, mais je cherche » détaille-t-il.
Le métier d’investisseur est un métier où l’on recherche des sociétés qui sont capables de faire de la croissance, de doubler en moyenne leur chiffre d’affaires chaque année. Cela fait partie de l’équation. Tout l’enjeu est d’avoir des businesses sains, sur lesquels le service rendu est important et pour lesquels les clients sont prêts à payer, c’est cela qu’il ne faut pas oublier. « Nous passons notre temps à chercher des entrepreneurs qui ont cette vision marché et ce pragmatisme d’aujourd’hui » précise-t-il.
« J’aime également beaucoup les boites qui gèrent la legacy (à savoir le matériel ou un logiciel continuant d’être utilisé dans une organisation alors qu’il est supplanté par des systèmes plus modernes). L’obsolescence de ces systèmes et leur criticité les rendent difficilement remplaçables sans engendrer des projets coûteux et risqués. C’est-à-dire qu’on ne peut mettre tout l’existant à la poubelle, donc il va falloir trouver des opérateurs hardware/software pour augmenter les équipements passés et les rendre plus intelligents, ce qui va permettre aux opérateurs de gérer leur legacy le temps qu’il faut. Ça, on le voit de plus en plus dans la santé, car c’est une manière de gérer la transition entre une médecine curative et une médecine plus préventive » conclut-il.