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Conf’574 – « Quand la réalité virtuelle révèle vos capacités insoupçonnées » par Anatole Lécuyer.

Dans cette conférence au 574 Saint-Denis, Anatole Lécuyer donne des clefs pour comprendre les différentes technologies immersives et ce qu’elles peuvent apporter à l’être humain. À travers de nombreux exemples, il nous montre que la reconnexion du corps et de l’esprit grâce à la réalité virtuelle est possible.

Publié le

Par La Redaction

anatole lecuyer

Qui ?

Anatole Lécuyer est directeur de recherche en réalité virtuelle et responsable de l’équipe Hybrid à l’Inria. Il est également l’auteur du livre « Votre Cerveau est un Super-Héros », paru en 2019 aux éditions HumenSciences.

Où ?

Au 574 Saint-Denis, le siège parisien de SNCF Digital situé à Saint-Denis (93), soit à environ 375 kilomètres de Londres, en Angleterre, où ont été inventées les premières lunettes de vue à branches par l’opticien Edward Scarlett.

Quand ?

Mardi 22 mars 2022, soit 62 ans jour pour jour après le dépôt de brevet du laser par Charles Townes et Arthur Schawlow.

« Même si aujourd’hui, l’actualité sur la réalité virtuelle est très riche, notamment sur le métavers, le sujet des technologies immersives est, lui, historiquement ancien – les premiers casques de réalité virtuelle datent d’il y a presque 50 ans. Et les travaux de recherche sur ce sujet sont également anciens, y compris à la SNCF – j’ai en tête des travaux de Philippe David qui datent de la fin des années 1990. De plus, il y a une belle activité notamment sur la réalité virtuelle dans les programmes de formation qui a démarré il y a plus d’une dizaine d’années. », introduit Anatole Lécuyer.

Un panel de technologies immersives

Les technologies immersives sont aujourd’hui multiples et ne sont toutes pas familières à tous et toutes. Rappel des principales définitions :

La réalité virtuelle est un « dispositif immersif procurant un sentiment de présence au moyen d’interactions avec un environnement 3D synthétique simulé en temps-réel ».

La réalité augmentée est, quant à elle, l’incrustation d’éléments virtuels dans un environnement réel, au moyen par exemples de lunettes qui vont afficher ponctuellement des éléments virtuels sur votre environnement immédiat. « Par exemple, nous avons un projet avec le musée des Beaux-Arts à Rennes, où grâce à des lunettes de réalité augmentée, on peut afficher en relief l’intérieur d’une momie de chat. Voici donc un exemple de réalité augmentée au service du patrimoine culturel. » ajoute le chercheur. La réalité mixte est, de son côté, « un continuum entre environnements réel et virtuel » (Milgram, 1994). « Plus récemment s’est imposé un nouveau terme, la XR (XReality ou Cross-Reality), une appellation englobante pour notamment inclure la vidéo 360°. » explique-t-il.

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Même si aujourd’hui, l’actualité sur la réalité virtuelle est très riche, notamment sur le métavers, le sujet des technologies immersives est, lui, historiquement ancien - les premiers casques de réalité virtuelle datent d’il y a presque 50 ans. Et les travaux de recherche sur ce sujet sont également anciens, y compris à la SNCF.

Anatole Lecuyer, directeur de recherche en réalité virtuelle

Des décennies de technologies immersives

En 1950, Morton Heiling crée le Sensorama comprenant diverses expériences sensorielles, comme des vibrations, des arômes, un son stéréoscopique, du vent, des mouvements…Dix ans après, au MIT, Ivan Suntherland et son équipe proposent le tout premier casque de réalité augmentée. À l’époque, c’est une prouesse technologique, tous les concepts sont donc déjà là.

Dans les années 1980, des compléments technologiques arrivent, notamment des gants de données ou des systèmes à base de projection. « On peut également citer Jaron Lanier, un visionnaire, qui a inventé le terme de réalité virtuelle et a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet. » ajoute-t-il.

Toujours dans les années 1980, les technologies haptiques font leur apparition, pour simuler le sens du toucher avec la matière virtuelle, car très vite, on veut aller au-delà de la vision de belles images, on veut pouvoir les toucher et les ressentir. Ce sont des technologies qui sont issues de la robotique.

Dans les années 1990, des systèmes à base de projection, appelés « Caves », sont créés à l’Université de l’Illinois et se propagent rapidement. Il y a, à ce moment, une mode des Caves, avant que les casques ne reviennent sur le devant de la scène.

Dans les années 2000, la réalité virtuelle bascule dans l’univers de la grande entreprise. De grands groupes comme SNCF, EADS, Renault… s’équipent de salles de réalité virtuelle pour la conception de projets, le design, la revue de projets, avec parfois des interfaces à retour d’efforts, dont on a vu les prémices 20 ans plus tôt, pour par exemple simuler l’assemblage de pièces en réalité virtuelle.

En 2010, on assiste ensuite à une évolution majeure qui est l’investissement de Zuckerberg dans la VR, en rachetant Oculus , une petite start-up américaine spécialiste des casques VR. Par la suite, tous les autres grands acteurs du secteur (Apple, Samsung…) se sont alignés et ont investi à leur tour dans la VR. Par conséquent, au milieu des années 2010, toute une génération de casques grand public arrive sur le marché.

Les années 2020 seront-elles l’ère des métavers ? « C’est en tout cas le rêve de Meta, qui mise gros sur cette évolution technologique. L’avenir nous le dira. Le risque est le flop commercial, comme on a pu le voir dans le passé. Il y a quand même encore beaucoup de défis scientifiques, technologiques, économiques, écologiques et sociaux sur ces questions-là. Côté scientifique, il reste encore beaucoup de travail, notamment pour le logiciel : calculs et affichages 3D en temps réel, rendus sensoriels, rendus des humains virtuels, multi-utilisateurs. Mais aussi pour le matériel : périphériques visuels, haptique, mouvement. Ou encore les techniques d’intégration (ergonomie), les perception (cinétisme, biais perceptifs), et enfin les applications (recherche translationnelle, clinique). », répond-il.

Un pôle d’excellence en technologies immersives à Rennes

« Les applications des technologies immersives sont aujourd’hui très variées : médecine, industrie, éducation, formation, patrimoine, création/art, sport, cinéma, jeux vidéo… Dans notre équipe, nous avons pu travailler sur chacun de ces sujets avec des partenaires très différents, et c’est ce qui fait la richesse de ce domaine scientifique et technologique. », explique-t-il.

L’Inria/IRISA est un pôle d’excellence breton où travaillent quatre équipes de recherche (plus de 100 personnes) sur deux plateformes expérimentales : Immersia situé au campus de Beaulieu et Immermove au campus de Ker Lann. L’équipe Hybrid, qu’Anatole Lécuyer dirige, est affiliée à différents instituts de recherche et écoles de Rennes (IRISA, INSA, CHU Rennes, CNRS, Université de Rennes 1) et comprend une quarantaine de personnes. « Notre projet est de reconnecter « le corps et l’esprit » en réalité virtuelle – un projet très ambitieux qui donne envie de repousser les limites des technologies. Nous avons une approche basée sur la perception, grâce à la stimulation des sens (vision, toucher, mouvement), la possession d’un corps virtuel (avatar) ou encore l’interaction avec son cerveau (interfaces neuronales). », explique-t-il.

Le travail de l’équipe a d’abord lieu sur le corps, avec cette idée que la prochaine génération technologique concernera le toucher grâce aux fameuses technologies haptiques. L’idée est donc de pouvoir toucher les objets virtuels. « Par exemple, à Rennes, en 2010 déjà, nous avions fait une simulation de crêpes virtuelles, on pouvait touiller la pâte de la main gauche et verser la pâte dans la poêle. Nous avons utilisé une interface à retour d’effort qui simule le poids, la viscosité du liquide, le changement de masse, ce qui permet de ressentir la même sensation que dans la réalité. Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est toute la partie algorithmique, avec les questions que l’on peut se poser en termes de simulation temps réel/physique de phénomènes assez complexes comme l’interaction avec du liquide. », précise-t-il.

L’équipe travaille donc sur différents projets sur les technologies haptiques. « Par exemple, nous avons un projet de tablette augmentée, « surface haptics », qui permet une interaction avec la tablette. Deuxième exemple, le mid-air haptic est une technologie très prometteuse basée sur de l’ultra-son. La convergence des émissions d’ultra-sons va créer une sensation sur notre peau, ce qui permet d’explorer des objets virtuels sans manettes ou joysticks, juste avec notre main. », explique-t-il.

Il existe également des solutions alternatives moins complexes et moins coûteuses pour créer des sensations haptiques. « Par exemple, on peut jouer sur notre cerveau grâce à des illusions haptiques, telles que l’illusion du Thaler et l’illusion taille-poids. Nous avons exploité ces illusions-là afin de créer des sensations haptiques au cerveau sans utiliser de technologies. Ainsi, le cinéma « HapSeat » fait bouger uniquement les accoudoirs et appui-tête du siège, ce qui permet de créer des illusions de mouvements puissantes. », précise-t-il.

Actuellement, l’avatar est également central dans de nombreuses recherches, car essentiel pour les métavers. La question est bien entendu de comment techniquement créer ce personnage virtuel, mais aussi quels liens la personne va tisser avec ce personnage, car ses caractéristiques vont potentiellement modifier le comportement de l’utilisateur dans le monde virtuel : c’est l’effet Protheus. Les caractéristiques physiques du personnage sont associées à des stéréotypes, ce qui va engendrer une reproduction de ces stéréotypes par la personne de manière plus ou moins consciente. Ainsi, si l’avatar est un enfant, la personne va parler avec une voix plus aigüe et plus enfantine. Donc, l’avatar que l’on choisit va influencer notre comportement dans le monde virtuel, le futur métavers.

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Crédit : Juan Mendez

Notre projet est de reconnecter « le corps et l’esprit » en réalité virtuelle - un projet très ambitieux qui donne envie de repousser les limites des technologies. Nous avons une approche basée sur la perception, grâce à la stimulation des sens (vision, toucher, mouvement), la possession d’un corps virtuel (avatar) ou encore l’interaction avec son cerveau (interfaces neuronales).

Anatole Lecuyer, responsable de l’équipe Hybrid à l’Inria

« À Rennes, on a aussi testé si on pouvait accepter des avatars très différent de nous, soit en créant des ombres (comme l’ombre d’une femme pour un homme), ou des attributs différents comme une main à six doigts. Ainsi, à la place de votre main réelle, vous avez une main à six doigts. Le but est de faire ressentir ce doigt virtuel physiquement. C’est très puissant, au point qu’à la fin de l’expérience, les personnes ont l’impression d’avoir un doigt manquant. », explique-t-il.

L’équipe a également trouvé des moyens de partager son corps virtuel. Cela pourrait servir, par exemple, pour des formations SNCF. Pendant le cours, le formateur pourrait ainsi prendre possession du corps virtuel de l’apprenant pour lui montrer le bon geste à faire.

Pour finir sur la partie technologique, l’équipe a démarré une activité sur les interfaces neuronales depuis quinze ans environ. L’idée est de contrôler le monde virtuel par son cerveau et non par son corps comme dans les exemples précédents. « Par exemple, nous avons créé un jeu que l’on contrôle par son cerveau via un casque à électrodes sur le crâne (EEG). Plus récemment, nous avons combiné ce système avec des lunettes de réalité augmentée, afin de pouvoir contrôler par le cerveau un petit robot mobile. Autre technologie, le cerveau-miroir, qui utilise les principes du « neurofeedback ». En voyant son cerveau virtuel et son activité électrique en temps réel et donc quelles zones s’activent selon ce que l’on fait, on peut ainsi apprendre à contrôler l’activité de son cerveau. Cette méthode sert notamment dans le domaine médical pour rééduquer certaines zones cérébrales, dont on sait qu’elles sont liées à des pathologies, par exemple sur les déficits d’attention, ou après un AVC. », détaille-t-il.

Et après ?

« Que voyons-nous comme avenir dans ces domaines-là ? Déjà sur les plans scientifiques et technologiques, notre intérêt va être de regarder maintenant comment les générations suivantes vont intégrer de plus en plus de technologies ensemble, et donc créer des technologies hybrides. Par exemple, on va intégrer des casques de réalité virtuelle et de l’informatique physiologique, voire de la neuroimagerie directement embarquée dans le casque. Cela sera utile pour des applications d’éducation, de formation, de sport, de santé et aussi de divertissement. », explique l’expert.

Pendant la crise sanitaire, l’équipe a également commencé à utiliser la réalité virtuelle pour la rééducation des patients Covid qui sortent du coma et qui sont devenus déficients moteurs. L’idée est de leur proposer un casque VR, en réanimation lors des premières heures après le réveil, et de leur montrer une scène de VR dans laquelle ils marchent. « Notre hypothèse est que de se voir marcher dans un avatar va permettre de restituer le cerveau et de démarrer le processus de rééducation en avance. Nous ne savons pas encore si cela marche, c’est le propre de la recherche clinique, mais le saurons prochainement. », conclut-il.

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