Et si les trains naviguaient avec Galileo ?
Grâce à l’exploitation de signaux émis par des satellites en orbite autour de la terre, il est possible de se localiser au sol : c’est ce que l’on appelle le positionnement par signaux satellitaires. Après la création des systèmes américains GPS et russe GLONASS, l’Europe a décidé de se doter de son propre système de positionnement le 26 mai 2003 avec la signature d’un accord entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne. Baptisé Galileo et opérationnel depuis décembre 2016, il propose une constellation de satellites similaire à celle du GPS américain, mais aussi des services annexes innovants comme l’authentification des signaux. Le système GALILEO offrira désormais de nouvelles capacités aux systèmes de localisation, que ce soit pour les voitures, les navires ou les trains.
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Par La Redaction
Si SNCF utilise déjà les données satellitaires dans ses opérations non sécuritaires, comment celles-ci peuvent-elles également se mettre au service de la modernisation du réseau ferré français ? En utilisant ces technologies spatiales, qu’envisage SNCF pour le transport ferroviaire de demain ? Edouard Chabanier (coordinateur technique et Responsable cellule transformation numérique Ingénierie & Projets de SNCF Réseau) et Thierry Chapuis (expert Applications spatiales au CNES) reviennent sur ces sujets.
Quels sont les enjeux stratégiques derrière la géolocalisation des trains ?
Thierry Chapuis (CNES) : Les voies ferrées sont décomposées de segments appelés cantons, dont la longueur est parfois de plusieurs dizaines kilomètres. Avec ce système, SNCF sait que le train est dans le segment mais ne peut connaître sa position précise à l’intérieur de ces segments. La localisation par satellite à l’image de GALILEO peut aujourd’hui être envisagée comme une des briques technologiques pour localiser précisément et en sécurité les trains, et ainsi contribuer aux futures normes ERTMS (European Rail Traffic Management System) qui visent à harmoniser la signalisation ferroviaire en Europe, tout en réduisant les équipements le long des voies.
Edouard Chabanier (SNCF) : Les trains de SNCF utilisent déjà beaucoup les systèmes de type GPS, notamment pour de l’information voyageur ou du suivi de flotte. Par exemple, les TER de la dernière génération sont déjà équipés des technologies de localisation par satellite (c’est-à-dire le GPS américain ou le nouveau système européen Galileo). En revanche, ces systèmes ne sont pas utilisés pour des applications sécuritaires comme la signalisation ou l’exploitation.
Or, à titre d’exemple, beaucoup de lignes régionales à faible trafic font face à une problématique d’équilibre économique. Le coût d’entretiens ou de rénovation reste très élevé, en particulier pour la signalisation. Celui-ci pourrait être minimisé grâce à l’utilisation du système satellitaire comme Galileo.
Pourquoi ces technologies aident à mieux maîtriser les coûts d’exploitation et de maintenance de son réseau ?
E. C. : Aujourd’hui, la signalisation est assurée notamment par des équipements sécuritaires installés aux bords des voies, et nos agents effectuent régulièrement des vérifications pour examiner leur bon fonctionnement. Une géolocalisation précise et fiable utilisant notamment les signaux satellitaires nous permettra de gérer la signalisation ferroviaire depuis un centre de contrôle à distance. Nous utiliserons des récepteurs installés dans le train et connectés via un réseau sans fil : la suppression des installations fixes le long des voies et des liaisons filaires entraînerait _de facto_ une baisse des coûts d’exploitation, de maintenance et de régénération du réseau.
Pourquoi SNCF et CNES ont voulu se lancer dans un tel partenariat ?
E. C. : Le CNES est l’un des moteurs du système de géolocalisation européen Galileo. A travers cette collaboration, nous souhaitons bénéficier de l’expertise et de l’expérience du CNES dans ce domaine technique. Cela s’est concrétisé par la signature d’un partenariat entre les présidents du CNES et SNCF en 2016.
Cette coopération est illustrée notamment par le projet GEOFER, mené avec la Région Nouvelle Occitanie et des industriels toulousains, qui vise à développer des systèmes de localisation ferroviaire en analysant précisément le comportement de récepteurs GPS ou Galileo en environnement ferroviaire. Une première campagne de mesures a déjà eu lieu en avril 2017 sur l’axe Toulouse-Rodez avec une implication importante du CNES. Ce projet a été soutenu par le programme de renouveau technologique TECH4RAIL de SNCF, qui vise à accélérer l’intégration de technologies innovantes pour renforcer la compétitivité du groupe public ferroviaire.
T. C. : Nous voulions promouvoir les innovations et surtout les applications spatiales. Ainsi, trois grandes thématiques de travail ont été identifiées : la géolocalisation, la télécommunication et l’utilisation des images satellitaires pour la surveillance des infrastructures. Ces échanges ont conduit à un partenariat avec SNCF.
A vos yeux, existe-il une concurrence entre le ferroviaire et l’aéronautique ?
E. C. : Non, en ce qui concerne les lignes du projet GEOFER il n’existe pas de concurrence directe. Le but de notre collaboration repose sur la maintenance des lignes régionales, dont les utilisateurs ne sont pas les mêmes que ceux des services aéronautiques. Nous cherchons justement à transposer les technologies aéronautiques dans le monde ferroviaire. C’est un projet gagnant-gagnant pour les deux filières selon moi !
T. C. : L’évolution technologique autour de la géolocalisation satellitaire a été mise en œuvre dans le domaine aéronautique, beaucoup d’avions opèrent déjà des atterrissages automatiques grâce aux données que leur fournissent les satellites. Aujourd’hui, c’est au tour du ferroviaire d’accéder à ces solutions. Les technologies et systèmes spatiaux mis au point par le CNES peuvent profiter aussi bien à l’aéronautique qu’au ferroviaire, et je dirais même à la voiture du futur. Quand un véhicule autonome se garera, il aura besoin d’informations sur son positionnement à quelques décimètres près, comme des systèmes de localisation basés sur Galileo seront capables de fournir.
Vers où cette technologie nous emmène ?
E. C. : SNCF réfléchit à une exploitation et une conduite plus automatisée des trains afin d’accroitre les performances et la régularité du système ferroviaire français. Certes, la technologie satellitaire seule ne suffira pas pour faire circuler les trains ; cependant, elle reste une brique technologique importante. Si nous la combinons avec d’autres technologies, elles aussi issues du domaine aérospatiale comme des centrales inertielles, le développement de trains autonomes sera possible. Nous collaborons déjà avec la Deutsche Bahn sur ce sujet.
T. C. : Quand les trains sont géolocalisés en permanence, nous pouvons imaginer embarquer des capteurs mesurant des paramètres techniques de la voie sur les trains en service commercial et ainsi repérer précisément les données recueillies. SNCF pourra ainsi réaliser un suivi très fin de l’évolution de ces paramètres, et développer encore davantage la maintenance prédictive.
Le projet GEOFER s’inscrit dans un vaste écosystème de technologies Rail et Espace, dont le comité de coordination est co-présidé par les présidents Guillaume Pepy et Jean-Yves Le Gall.
Photos – Site Cité-Sciences.fr
Crédit – © ESA-J. Huart