Le Mass transit dans le monde – 5 questions à Alain Krakovitch
Le Mass transit est au cœur des solutions de mobilité dans les mégalopoles du monde entier. Alain Krakovitch, DG de SNCF Transilien, détaille les enjeux du Mass transit suite à la parution de son livre « Métropolitrain ».
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Par La Redaction
Avec déjà plus de la moitié de la population mondiale vivant dans les villes, le 21ème siècle est l’ère de l’urbanisation. Les mégalopoles, ces villes-mondes de plus de dix millions d’habitants, font face à une demande accrue de mobilité. Elles doivent permettre aux habitants de circuler librement, tout en émettant moins de CO2. De ce fait, il est évident que les transports doux et/ou partagés sont de plus en plus appréciés. Le concept du Mass transit s’inscrit pleinement dans l’écosystème du transport urbain.
La gestion d’un réseau du Mass transit n’est pourtant pas une mince affaire. Outre les enjeux d’efficacité, de sécurité et de robustesse, de nouveaux besoins émergent, comme la personnalisation de l’offre, l’information voyageur en temps réel ou encore le dernier kilomètre. Les transporteurs des mégalopoles doivent continuer d’innover, tant sur le plan industriel que marketing. Dirigeant du réseau des lignes de banlieues et RER en Île-de-France depuis 2014, Alain Krakovitch est confronté quotidiennement à ces questions. Dans son livre paru en mai 2019, l’expert met en perspective le réseau du Mass transit en Île-de-France par rapport à ceux des autres mégalopoles – notamment asiatiques – et détaille sa vision.
Dans votre livre, vous comparez les réseaux de mass transit internationaux, dont celui d’Île-de-France. Qu’est-ce que le Mass transit ? Quels sont les enseignements que vous avez pu tirer ?
Alain Krakovitch : Au-delà de la notion de « zone dense », nous pouvons distinguer deux définitions du Mass transit en fonction des modes de transport concernés. Il y a le Mass transit global qui concerne le métro, le train et le tramway ; puis le Mass transit ferroviaire, qui est notre spécialité. Les chiffres ont montré que l’Île-de-France figure parmi les dix premières agglomérations dans le monde dans le premier cas. En ce qui concerne le Mass transit ferroviaire, elle grimpe à la deuxième place, juste derrière Tokyo. Les grandes métropoles asiatiques possèdent des réseaux très modernes et automatisés, avec des dispositifs permettant de gérer des flux encore plus importants que chez nous. Le réseau d’IDF, lui, est beaucoup plus ancien – le métro a été créé en 1900 –, et fait donc face à un besoin de modernisation plus conséquent.
Nous avons beaucoup de choses à apprendre de ces villes asiatiques. Il y a d’abord les sujets assez techniques. Par exemple, un réseau de Mass transit doit être fermé, équipé des portes palières ou de tunnels. Cela permet d’empêcher les intrusions sur les voies, qui peuvent paralyser le trafic. À Tokyo ou à Hongkong, elles sont systématiquement mises en place, ce qui représente des millions de dollars d’investissement.
Le deuxième enseignement est justement la nécessité d’investissement. En Asie, l’infrastructure ferroviaire et le train sont renouvelés régulièrement – tous les huit ans pour Tokyo –, c’est considérable. Nous n’en sommes pas encore là, même si nous avons la chance d’avoir obtenu de l’Etat un budget de 800 millions d’euros par an pour la régénération du réseau. De plus, le Grand Paris Express représente un investissement de 30 milliards d’euros.
En ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité ferroviaire, dans votre livre, vous dites que « rien ne vaut une mesure préventive ». En quoi consistent ces mesures ?
Alain Krakovitch : Nous parlons de la maintenance prédictive. C’est un facteur majeur de régularité, qui est notre priorité. Nous devons pouvoir intervenir lorsque le train nous envoie une alerte – si un composant est en limite de norme par exemple –, sans avoir recours à une inspection complète de la rame.
Pour ce faire, il est clairement préférable de doter les rames de capteurs dont nous avons besoin dès sa conception, car faire la maintenance préventive et prédictive dans celles qui ne sont pas nativement équipées – Z2N, les rames de la ligne RER D – est difficile.
Ainsi, nous installons le plus de capteurs possibles dans les nouvelles rames. Les franciliens qui desservent les banlieues Nord, Paris-Est et Saint-Lazare d’ÎDF, par exemple, sont tous équipés de ces capteurs. Les Régio 2N que nous sommes en train d’acheter pour la ligne R (et bientôt sur la ligne N) le seront aussi. Ce sera évidemment le cas des futurs RER nouvelle génération.
Quelles sont les innovations qui s’opèrent sur nos réseaux Mass transit, qu’il s’agisse d’organisation, de production ou de service ?
Alain Krakovitch : Quand nous nous comparons à la Chine, au Japon, ou à l’Allemagne, nous avons moins d’investissement en termes d’innovation et de recherche bien que cela progresse. Par ailleurs, je propose quatre grandes simplifications de rupture.
Premièrement, la simplification technologique, comme l’automatisation, qui est la seule solution possible pour augmenter la fréquence des trains à infrastructure égale. Pour gagner en fréquence et en régularité, une de nos priorités est le train autonome, qui concerne les trains TGV, Fret, mais aussi Transilien. Ces derniers, par exemple, disposeront du système CBTC [« Communication based train control », le système de contrôle automatique du trafic ferroviaire basé sur la communication continue entre le train et des ordinateurs au sol, ndlr]. Sur la ligne E puis les lignes B et D, nous mettons en place ce nouveau système d’exploitation des trains, baptisé NExTEO. Permettant d’homogénéiser les vitesses et les capacités de freinage, il sera à terme déployé sur toutes les lignes.
La deuxième simplification est organisationnelle, et c’est peut-être la plus importante pour moi. Si nous voulons un système de Mass transit efficace, le rail, le train et la gare doivent être gérés dans une logique de système, avec le moins d’interfaces possibles et toutes les compétences réunies.
La troisième simplification, c’est celle des lignes ferroviaires. Il faut reconnaître que les bifurcations sont systématiquement la source d’irrégularités. Il faut aller, de fait, vers la « métroisation ».
Enfin, il y a la simplification « de bout en bout ». Elle va toucher particulièrement l’information voyageur, comme le parcours clients ou encore la signalétique.
Vos équipes mènent régulièrement des études afin d’imaginer la mobilité du futur, comme « ultramobilité », « altermobilité », « proximobilité », pouvez-vous détailler ces concepts ?
Alain Krakovitch : Au-delà de ces mots, nous voulons développer le marketing territorial et le marketing de l’offre. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout évident de connaître nos clients, ou ce qu’ils seront. Quels sont leurs lieux de travail et domicile ? Quels sont leurs habitudes et souhaits de voyage ? Si nous considérons les voyageurs du réseau Transilien comme les “voyageurs uniques”, pendant une journée, nous avons 82% des clients qui se déplacent plus d’une fois par semaine (voyageurs habituels). Néanmoins, sur une année entière, 93% d’entre eux transitent sur nos réseaux moins d’une fois par semaine (voyageurs occasionnels).
Si, historiquement, nous avons bâti notre information voyageur en nous basant sur les clients réguliers, aujourd’hui, nous avons compris la nécessité d’une personnalisation très forte. C’est un exemple de l’utilisation du marketing territorial.
Notre ambition en matière d’« individuel Mass transit » nous différencie de l’Asie. La personnalisation est notre stratégie, parce que chacun de nos clients – et je reviens sur mes 93% – est unique. Il a besoin d’une information très spécialisée, d’offres ou services très individuels, notamment via les applications. L’essentiel est de pouvoir voyager avec seulement le téléphone portable, en ayant une information sur tous les modes de transport dont il a besoin. C’est le MaaS (Mobility as a Service).
Avec la tendance d’hyperurbanisation, n’existerait-il pas un risque de congestion de train, comme ce qui se passe actuellement sur les autoroutes ?
Alain Krakovitch : Au-delà de l’aspect écologique qui est pourtant majeur, il y a surtout un problème de place ! Deux voies de RER équivalent à une autoroute de deux fois quatorze voies, or, à lui seul, un train peut transporter jusqu’à 3000 personnes. Il relève le défi du mass transit aux heures de pointe dans les mégalopoles.
Ici en Europe, certains considèrent la voiture autonome et la trottinette électrique comme les solutions de déplacement les plus viables dans les métropoles, toujours plus grandes. Je trouve que c’est totalement hallucinant. À Singapour, la cité-Etat a souhaité restreindre la place occupée par les transports au-dessous de 14% du territoire. Le ferroviaire devient ainsi une solution très pertinente grâce à sa capacité de transport. Si nous ne voulons pas non plus que notre superficie soit prise par les infrastructures d’autoroute, le choix est vite fait.