Le nouveau visage numérique de SNCF Voyageurs
Le numérique change nos façons de travailler. Dire cela relève de l’évidence, presque du poncif, mais cette phrase cache dans l’entretien et la réparation du matériel ferroviaire une réalité aux facettes multiples et passionnantes, de l’internet des objets à la maintenance prédictive. Nous avons demandé à Xavier Ouin, directeur du Matériel et directeur industriel de SNCF Voyageurs, de nous parler de ce que signifie concrètement la numérisation des activités, de plus en plus avancée et profonde.
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Par La Redaction
Quelle est la place de l’innovation numérique au sein de la direction du Matériel de SNCF Voyageurs ?
L’innovation numérique au Matériel est au cœur de la transformation de nos 10 technicentres industriels (TI). Nous avons lancé un grand programme de rénovation de ces TI depuis 2015, d’un montant de 400 millions d’euros, ce qui nous a permis d’intégrer des applications de suivi de production comme OnTime et Collector+. L’innovation est d’abord testée dans un TI, puis généralisée aux autres dans un second temps.
Nous avons aussi lancé une application pour le suivi des pièces, très nombreuses en technicentre, et nous avons de plus en plus recours au BIM pour le suivi des bâtiments et des installations. Tous nos agents peuvent utiliser ces applications via leurs tablettes. Enfin, nous utilisons aussi des co-bots (machines collaborant avec les agents), des exosquelettes, des drones et de l’impression additive (impression 3D) pour fabriquer des pièces difficiles à trouver.
Du travail des agents à la vision globale des applications de gestion, cette numérisation nous a permis de rationaliser et d’optimiser la production en identifiant les étapes et les process où un gain de temps ou d’efficacité était possible.
On parle de plus en plus de trains autonomes et de machines automatisées. Que dire des humains dans tout ça ?
Attention, le train autonome, ce n’est pas pour tout de suite à grande échelle ! Concrètement aujourd’hui, nos processus de maintenance sont plus digitalisés qu’automatisés, car nous ne réalisons pas de travail à la chaîne sur des grandes séries. Un bon exemple pour l’illustrer ce sont les co-bots, notamment de ponçage. Nous avons des ponceuses capables de travailler seules, mais le plus souvent elles vont épauler l’agent, qui va venir les guider pour insister sur certaines parties, et verra ainsi son travail diminuer en pénibilité. Ils augmentent la sécurité et le confort des agents, tout en permettant un gain d’efficacité et de qualité significatif.
Et au-delà de la nouveauté technique, il faut savoir accompagner l’arrivée du numérique. L’organisation du travail a changé : avant, c’étaient les managers qui possédaient les informations de production ; maintenant tous les agents en disposent sur leur tablette. Forcément, ça change les relations de travail au quotidien. Mais il ne suffit pas de donner des tablettes aux agents pour que ça marche ; il faut repenser la répartition des tâches au sein du technicentre, notamment en recentrant les managers sur leurs tâches à valeur ajoutée.
Comment est utilisé l’internet des objets au sein de Matériel ?
Aujourd’hui l’IoT, l’internet des objets, au Matériel, ce sont de plus en plus de capteurs à bord des trains, souvent installés dès la construction, même si l’on en ajoute parfois sur des trains plus anciens. Ces capteurs sont utilisés pour la maintenance prédictive : ils effectuent en continu des mesures qui nous permettent d’établir des lois de dégradation, puis de réparer le matériel avant que la panne survienne. C’est la condition-based maintenance (CBM), et ça apporte un changement majeur par rapport au modèle précédent, où l’on entretenait le matériel avec une périodicité fixe quel que soit son état, ce qui pouvait amener à remplacer des pièces en bon état ou à réaliser trop d’opérations manuelles de surveillance et d’inspection.
L’installation accrue de ces capteurs a plusieurs impacts, directs et indirects. Par exemple, le passage à la maintenance prédictive fait baisser le nombre de voies nécessaires en technicentre, car les trains y rentrent moins souvent. L’installation de détecteurs de portes ouvertes en marche sur les trains Corail (programme AVISÉ) a permis une réduction drastique des incidents. Nous mettons aussi progressivement en place des bancs de maintenance qui inspectent les trains en circulation en prenant des photos 2D et 3D des roues pour évaluer leur état, et nous travaillons sur des bancs capables de faire la même chose sur les freins et les pantographes.
Rien de tout cela ne serait possible avec un tel degré de fluidité sans l’IoT. Avoir accès à ces flux de données en continu et à distance est indispensable pour moderniser notre façon d’entretenir et réparer notre matériel.
Enfin, quels sont les grands chantiers pour l’année 2022 et le futur ?
Le plus grand défi est probablement l’opération de mi-vie pour la flotte AGC (Autorail grande capacité, 700 trains mis en service à partir de 2004) et TER 2N NG (240 rames), qui mobilisera tous nos technicentres industriels pour les dix années à venir. Cette opération, étape normale d’entretien lourd pour tout notre matériel roulant, intéresse fortement les Régions, qui souhaitent installer de la vidéo et d’autres nouvelles technologies à bord de ces trains. Disposer de ces trains en technicentre lors de cette étape de maintenance lourde nous permet ainsi d’y installer également de nouveaux capteurs, de nouvelles caméras et du wifi par exemple.
Cette flotte, utilisée en TER et Transilien, a été depuis sa conception adaptée en fonction des demandes des Régions (avec par exemple l’installation de porte-skis pour certaines rames). Il est donc naturel que l’opération de mi-vie soit l’occasion de pousser cette personnalisation régionale également sur le volet numérique.
Nous continuerons aussi à mener des expérimentations visant à réduire encore l’empreinte carbone de nos trains, par exemple en testant des TER hybride (diesel et batteries), des TER fonctionnant uniquement sur batteries, ou encore à l’hydrogène. Idem pour les tests en lien avec le train autonome, qui représente un vrai défi en termes d’intelligence artificielle afin de lire automatiquement la signalisation présente au bord des voies ferrées. Enfin le RER NG (nouvelle génération) va faire son arrivée, suivi du TGV M en 2024, sans oublier l’AMLD (Automotrice Moyenne et Longue Distance) pour les trains Intercités.