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L’ÉTÉ DIGITAL – Jumeau numérique : un « double virtuel » qui bouleversera la gestion des actifs physiques

Data, IoT, conversationnel, cybersécurité, mixité numérique… Découvrez notre sélection des sujets sur » www.digital.sncf.com » et passez un été digital. Le jumeau numérique révolutionne la gestion des bâtiments – du chantier à l’exploitation –. Plongez-vous dans notre long form dédiée à ce sujet.

Publié le

Par La Redaction

En matière du jumeau numérique, tout a commencé dans l’aérospatial. Afin de réaliser des missions complexes, les véhicules spatiaux sont soumis à des charges élevées et des conditions de service sévères, et ce durant de longues périodes. « Les conditions thermiques, mécaniques, et acoustiques sont impossibles à reproduire dans un laboratoire, il est nécessaire de faire des calculs informatiques pour simuler tout ça », rapportent les scientifiques du Centre de recherche Langley de la Nasa, dans un article dédié au jumeau numérique publié en 2012. Depuis, les jumeaux numériques des stations spatiales et engins spatiaux ont été créés, permettant de simuler les réactions physiques, ou monitorer le fonctionnent des systèmes, et assurer la sécurité des équipages, lors d’une exploration.

Qu’est-ce que le jumeau numérique ?

Des économies de coûts et de la maintenance préventive au traitement personnalisé des soins : les jumeaux numériques constituent le pont entre le monde numérique et le monde physique. Pour Thibault Bourdel, pilote de la transformation digitale d’AREP, filiale de SNCF Gares & Connexions, et expert en BIM, le jumeau numérique est le miroir virtuel des objets ou d’un système qui existe réellement. L’avantage de ce dernier ? « Une connaissance beaucoup plus fine dans la gestion des équipements », reconnaît l’expert, « grâce à la centralisation des données via la création de ce socle numérique commun ».

Comment le jumeau numérique aide à transformer la data en une connaissance utile à l’entreprise ? Selon Thibault Bourdel : « la data, c’est une donnée ‘unique’, dissociée de son contexte, peu compréhensible. Le jumeau numérique remet cette data dans son environnement, on obtient ainsi une information. On associe par la suite cette information à nos expériences ainsi qu’à nos usages variés, on va pouvoir enfin disposer des connaissances utiles. C’est ainsi que les entreprises comme SNCF peuvent conserver au mieux leur savoir-faire précieux dans le temps. » Et pour créer le socle du jumeau numérique, Thibault Bourdel prône une « mise en cohérence des briques technologiques basée sur les compétences humaines : chez AREP, on aura besoin de data ingénieurs et data scientists qui pourront aider à réaliser le management des données avec des algorithmes performants ».

Du secteur de l’énergie à celui du maritime, en passant par celui de l’automobile, les industries s’emparent d’ores et déjà du jumeau numérique. À mesure que les données transitent, le jumeau évolue, reflétant la modification de l’objet physique et de son environnement auxquels il est exposé. Par exemple, durant cette conférence Minds + Machines, General Electric a livré une démonstration fascinante du « jumeau numérique 6321 » – celui d’une de ses turbines à vapeur, installée en Californie du Sud –. Dotée d’une voix féminine, la jumelle n’a pas pris plus de deux minutes pour proposer les solutions adéquates afin d’augmenter la durabilité de la turbine. La prouesse a été réalisée en utilisant les données historiques de la machine durant les quinze dernières années, et les données en temps réel du parc de l’entreprise.

Mettre en place son jumeau numérique : trois questions à Bruno Landes

Bruno Landes est responsable de la Division Assistance Travaux et Topographie chez SNCF Réseau, il est en charge notamment de l’élaboration du projet de jumeau numérique du système ferroviaire français.

  • En quoi est-il pertinent d’établir un jumeau numérique du réseau ferré français ?

Bruno Landes : À l’heure actuelle, le jumeau numérique existe surtout dans le monde industriel, comme les industries de l’automobile ou de l’aéronautique. Il agit sur des objets de taille définie. Le jumeau numérique d’infrastructures linaires, ou de systèmes aussi complexes que le réseau ferroviaire, n’existe pour l’instant nulle part ailleurs ! Nous partons donc du principe que le jumeau numérique du système ferroviaire français va transformer tout le réseau, car il sera mis en place en fonction des usages des mainteneurs, exploitants, concepteurs… Il est applicable à l’ensemble des métiers et acteurs du ferroviaire : c’est ça qui valide sa mise en place. Un démonstrateur de ce jumeau numérique va sortir mi-2019.

Quel est le rôle de l’intelligence artificielle dans le jumeau numérique ?

Bruno Landes : Il faut avant tout savoir qu’il existe trois étapes dans la mise en place d’un jumeau numérique. Primo, on croise les données de sources différentes, l’objectif étant de faire remonter les informations et façonner la data visualisation. Secundo, on va doter le résultat de la première étape d’une intelligence artificielle : celle-ci propose des choix dans la prise de décision. Tertio, on arrive enfin à une étape qui s’appelle la gestion de configuration. Tout le système est modélisé, et l’intelligence artificielle doit donc être capable de traiter les alertes ou les problèmes survenus. Sachez que l’intelligence artificielle ne fonctionne pas toute seule dans un jumeau numérique, elle sert surtout à chercher les bonnes données aux bons endroits, afin de remonter les informations pertinentes. Prenons l’exemple de la dernière panne à la gare de Montparnasse : si nous avions modélisé la gare et les trains, et que nous disposions d’une gestion de configuration, l’identification de la cause de la panne aurait pris moins de temps, et la reprise de la circulation aurait été plus rapide.

À votre avis, quelles sont les problématiques les plus importantes dans la création d’un jumeau numérique ?

Bruno Landes : La modélisation du système – c’est un gros travail – est indispensable pour réussir son jumeau numérique. Ce n’est pas que de la modélisation 3D des objets physiques, il faut aussi modéliser les schémas techniques, les process… Par exemple, grâce à la modélisation des schémas de signalisation, nous n’aurons plus besoin de plan. Nous nous appuierons sur un modèle pour réaliser les études et obtenir la remontée des informations.

La mise à jour de la base de données est une autre problématique importante. Il faut évidemment réfléchir sur les processus de mise à jour du système, mais surtout donner envie aux collaborateurs de mettre à jours les données – c’est probablement la chose la plus importante –. Les outils dédiés à la mise à jour des données et à l’utilisation du jumeau numérique doivent être très simples d’utilisation, adaptés à la mobilité.

Un nouvel écosystème autour du jumeau numérique

Le concept du jumeau numérique existe depuis un certain temps déjà, mais il n’a pris son essor que maintenant avec la croissance de l’internet des objets (IoT), du big data, ou des nouvelles interfaces Homme-Machine comme la maquette BIM.

À bien des égards, l’IoT et l’IA étaient les pièces manquantes à la réalisation du jumeau numérique évolutif. Désormais, via les infrastructures IoT, les données des milliards d’objets physiques connectés vont permettre à l’avatar numérique d’évoluer en fonction de la réalité. Et les algorithmes intelligents, quant à eux, proposent des choix à la décision plus efficacement. En d’autres termes, la prise de décision à partir des modèles du jumeau numérique se fiabilisera.

Dans la construction, où l’on pratique la conception d’un plan ou d’une maquette du bâtiment depuis longtemps (la conception assistée par ordinateur ou computer-aided design en anglais), le jumeau numérique amène cette modélisation à un autre niveau. Il permet aux ingénieurs de vérifier par exemple comment la maison continue de vivre dans son environnement, déterminer l’ampleur des travaux de rénovation, ou encore quels problèmes de sécurité pourraient survenir à l’avenir, en somme, de faire du BKM, building knowledge management. « Demain, les informations qui jusque-là se trouvaient dans des documents comme le dossier des ouvrages exécutés [un document contractuel fourni au client final lors de la livraison du chantier, qui facilite la gestion du bâtiment au quotidien, ndlr] seront intégrées dans le jumeau numérique. Le gestionnaire n’aura plus qu’à se ‘pluger’ pour obtenir les informations dont il a besoin ; on s’approche de l’idéal », s’enthousiasme Thibault Bourdel.

Et les applications du jumeau numérique iront bien au-delà du monde de l’ingénierie et de la construction. Dans l’industrie automobile, par exemple, il va pouvoir contribuer à la sécurité des véhicules en contrôlant les systèmes ou les pièces devant être remplacés et en alertant les équipes concernées pour qu’elles effectuent le changement. Dans le monde industriel, il sera utilisé pour planifier une maintenance préventive, évitant les pertes financières issues des périodes d’inactivité dues à la maintenance. Dans le secteur de la santé, on pourrait, à long terme, personnaliser le soin et prévenir la maladie en créant les jumeaux numériques des patients.

Demain, de nouveaux modèles économiques vont se créer autour du jumeau numérique ; il pourrait inverser, en quelque sorte, la valeur du produit et de son modèle. Si chaque objet et ses composants disposaient d’un jumeau numérique, la vente deviendrait probablement un package – un peu à l’image du journal Le Monde, qui propose actuellement des abonnements combinant les versions imprimée et digitale. On pourrait également imaginer les plateformes des jumeaux numériques open source, qui seraient probablement très utiles dans le développement des villes intelligentes, car les citoyens pourraient tous participer à l’amélioration de leurs lieux de vie.

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