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DE L’IMPORTANCE DU DROIT AU SEIN DE LA TRANSFORMATION DIGITALE – LE CONTRAT D’EXPÉRIMENTATION STARTUP

Si nous présentons souvent les différents avatars de la transformation digitale, rarement est évoqué le rôle du juridique. Le droit est pourtant un outil incontournable pour accompagner, formater et réguler les profonds changements enjoints par la transformation des grands groupes.

Publié le

Par La Redaction

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De l’importance du droit au sein de la transformation digitale : le contrat d’expérimentation startup

Si nous présentons souvent les différents avatars de la transformation digitale, rarement est évoqué le rôle du juridique. Le droit est pourtant un outil incontournable pour accompagner, formater et réguler les profonds changements enjoints par la transformation des grands groupes. Marque, propriété intellectuelle, brevets, nouveaux statuts juridiques (cyber sécurité de l’IOT, intelligence artificielle, bases de données…), etc. : très nombreux et divers sont les pôles impactés. La collaboration avec les startups est un bon exemple des implications de cette transformation. En effet, si les grands groupes admettent l’importance croissante du partenariat avec ces jeunes pousses, la relation n’est pas sans obstacles: difficulté d’industrialisation d’un côté, lenteur contractuelle ou financière de l’autre. C’est entre autre pour répondre à cette dernière problématique que SNCF a mis en place le « Kit contrats startup ».

Les directions Achats, Juridique et Digital ont formalisé des parcours de contractualisation avec les modèles de documents associés, notamment un modèle de contrat d’expérimentation pour accélérer le lancement des projets startup. Marie-Sophie Gambiez (Achat) et Sandrine Mondin Simon (Juridique), porteuses du projet, vous présentent ledit contrat d’expérimentation : sa genèse, les difficultés rencontrées et les prochains terrains à défricher.

Pourriez-vous nous présenter vos parcours respectifs et votre poste chez SNCF ?

Marie-Sophie Gambiez : Après avoir travaillé dans une startup puis une PME spécialisée sur les cartes-son et composants microélectroniques, je suis ensuite arrivée chez SNCF. J’ai évolué à la Direction des Achats sur différents postes. Depuis presque un an, je suis revenue sur la partie digitale avec une création de poste en tant que _Digital Champion_ pour les Achats.

Sandrine Mondin Simon : J’appartiens au département Droit des Nouvelles Technologies et Propriété Intellectuelle (JTIC) à la Direction Juridique Groupe, et cela fait 15 ans que je travaille chez SNCF. Avant, j’étais plutôt juriste en région. J’ai fait de tout : droit social, responsabilité, relation clientèle… Cela m’a permis de bien connaître la boîte. Je me suis spécialisée en droit des nouvelles technologies et en Propriété Intellectuelle il y a 8 ans, et je compte parmi mes grands sujets la diffusion du droit dans l’Entreprise, son adaptation aux nouvelles technologies et son articulation pour nos cas d’usage et projets.

Comment êtes-vous arrivées à travailler sur le projet de refonte du contrat startup « expérimentation » ? Etiez-vous déjà familières de ce type de sujets ?

SMS : J’ai rédigé la première version du contrat de départ, quand la Direction Digitale n’existait pas et que nous avions la Fabrique Digitale. La Fabrique avait été créée pour initier le digital et anticiper la transformation de l’entreprise, le phénomène startup arrivait et il fallait le canaliser. Après avoir créé un outil de _sourcing_ startup, nous avons rédigé un contrat en vue d’encadrer les expérimentations. La Fabrique a ensuite disparu, le Digital s’est créé et le département Open Innovation s’est saisi du sujet car il fallait le porter plus haut et de manière plus large.

MSG : C’est à ce moment que  je suis arrivée. Nous sommes partis du principe qu’il serait intéressant de poser un REX (retour d’expérience) sur les utilisations qu’il y avait déjà eues du contrat pour le pousser plus loin, aborder de nouveaux sujets, re-créer des clauses, le placer au sein d’un kit plus exhaustif avec un guide des bonnes questions à se poser… L’idée était aussi de commencer à générer un réseau des utilisateurs, d’intégrer les acheteurs ainsi que d’autres typologies de juristes. Il fallait les sensibiliser au sujet et bénéficier de leurs expertises. Le projet prenant de l’ampleur, nous avons été plus loin en réfléchissant aux différents parcours d’utilisation de ce type de contrat.

Nous avons organisé un kick off où ont témoigné des startups : leurs réactions par rapport aux grands groupes, leurs freins, leur point de vue sur le nouveau contrat…

Comment vous y êtes-vous prises pour rédiger ce contrat, quels étaient pour vous ses objectifs majeurs ? Fallait-il fédérer toutes les attentes qu’il y avait autour ?

MSG : Oui, nous sommes partis des constats et les avons intégrés dans ce contrat-là. Le cas d’utilisation d’origine était un peu unique, l’idée était de l’étoffer avec tous les possibles rencontrés lors de relations avec des startups : flux financier ou pas,  co-développement ou pas, prises de participations potentiellement, dépôts de brevet…. Ce n’est pas fini mais nous avons essayé d’agréger au mieux.

SMS : Pour revenir sur le REX, le premier jet du contrat avait été proposé à un challenge Open Innovation créé par Romain Lalanne (responsable de la Fab Open Innovation) ; il y a eu des premiers retours et utilisations. C’est vraiment l’emploi de ce contrat qui lui a permis d’évoluer, notamment avec toutes les contraintes règlementaires du groupe SNCF. Il a véritablement été créé pour faciliter les relations entre startups et SNCF. Rappelons néanmoins que ce contrat ne vise qu’un cas particulier – l’expérimentation – dont l’enjeu financier est limité. Le périmètre de cette convention est assez restreint, mais c’est une première étape.

L’idée est donc de l’adapter à d’autres sujets que l’expérimentation ?

MSG : Disons qu’il faudrait probablement le spécialiser par grandes typologies. Par exemple, quand je suis sur une solution essentiellement basée sur du logiciel, c’est une typologie particulière qui peut engendrer aussi bien des cas d’expérimentation sur des données matérielles que des types de fourniture. Il y a beaucoup de cas particuliers : nous sommes en train de travailler autour de l’IOT par exemple, car tout ce qui touche aux capteurs et à la connectivité fera probablement l’objet d’un contrat d’expérimentation spécifique.  Nous nous rendons compte qu’il faudrait le dupliquer, garder un modèle très généraliste dont l’adaptation serait laissée à chacun, puis créer des modèles un peu plus spécialisés pour éviter de les recréer à chaque fois.

SMS : Mon objectif dans ce contrat est aussi la pédagogie vis-à-vis des startups. C’était vraiment leurs montrer que nous nous protégeons, certes, mais que nous collaborons en même temps ; c’est le curseur qu’il faut trouver à travers un outil qui peut s’adapter à tout le monde.

MSG : C’est vraiment une lecture dans les deux sens : de la pédagogie pour les startups mais également pour les chefs de projet chez nous.

A-t-il été difficile de faire coïncider les demandes des startups avec les réalités d’un groupe aussi important que SNCF ?

MS : Parfois. C’est par exemple très compliqué sur des sujets comme les délais de paiement, même si nous avons un peu de flexibilité. Il faut systématiquement raisonner par exception, ce n’est pas adapté au business model d’une startup. Sans également oublier les temps de réaction, un vrai frein par rapport à l’agilité startup.

SMS : Même si nous avons la volonté de simplifier, certains éléments ne sont pas simplifiables. Prenons par exemple le cas des données à caractère personnel, régi par une législation très lourde et des délais incompressibles. Si le chef de projet coté SNCF ou startup ne les a pas anticipés, les délais ne seront pas tenables. Par exemple : quand vous mettez vos données à caractère personnel sur des serveurs en dehors de l’UE, notamment aux USA (et les startups sous-traitent souvent leur hébergement chez de grands éditeurs américains), il faut une autorisation spécifique qui requiert une instruction auprès de la CNIL demandant 4 mois minimum. Imaginez le retard si ce délai n’est pas anticipé… Donc la pédagogie doit venir d’un contrat où seront mentionnés des points de vigilance.

Quelles ont été les difficultés ou problématiques majeures ?

SMS : En pratique, pour SNCF, un acte d’achat amène l’intégration des CCCG-PI (Cahier des Clauses et Conditions Générales d’Achat pour les Prestations Intellectuelles). Elles sont complexes et demandent une certaine expertise ; le premier objectif était de ne pas les mettre comme telles. Nous intégrons une partie de ces clauses dans le contrat tout en les simplifiant, sans oublier les points qui protègent l’entreprise.

MSG : Ce sont nos conditions obligatoires à respecter à partir du moment où un achat est effectué. Et c’est à peu près 150 pages très complexes. Une startup n’a pas les moyens de les lire et de les adapter : nous voulions donc un contrat autoporteur qui ne fait pas référence à ces conditions  – complètement en dérogation avec les règles de l’entreprise – mais qui assure de les respecter à minima. C’est comme le _produit minimum viable,_ nous avons appliqué la même contrainte.

SMS : Plus qu’une difficulté, il y a également une façon de travailler à mettre en place. Non seulement les parties prenantes à la création doivent voir les choses de la même manière, mais il faut que la démarche soit « validée » au niveau de notre direction. Simplifier un contrat sans intégrer les CCCG-PI, par exemple, demande une validation.

MSG : Autre difficulté : le cadre d’utilisation. Ce type de support contractuel est un outil extrêmement facilitateur qui arrange beaucoup, il est laissé à la main de chacun car il régule des montants que tout le monde est habilité à réaliser. Mais on peut être tenté de l’utiliser dans le cadre de projets plus complexes qui nécessitent un accompagnement et des conditions bien plus larges que celles reprises ici. J’ai déjà vu des cas où on a voulu l’utiliser pour des actes de vente à 300 000 ou 400 000 euros… Le contrat ne nous protège plus, ni l’entreprise en face.

Comment imaginez-vous évoluer ce contrat ? Quelles en sont les prochaines étapes ?

MSG : C’est un peu ce que nous avons évoqué plus haut. Nous avons besoin d’autres typologies de contrats qui aideraient à couvrir ces nouvelles façons de bâtir des relations avec ces jeunes pousses pour lesquelles nos contrats sont trop figés. Il y a probablement de nouveaux modèles à construire : il faut que nous le posions sur papier pour définir ce qui sera mis en place. Nous aimerions couvrir les parcours d’utilisation pour tous ces achats de solutions innovantes. A terme, nous pourrions avoir la proposition d’un challenge, d’un contrat de co-développement, d’un contrat d’expérimentation… La prochaine cible : donner un outil qui permette à toute personne en relation avec une startup ou une PME innovante de savoir s’orienter facilement.

L’autre évolution prépondérante : la connaissance des startups. Il y a les problématiques du _sourcing_, de la veille et de capitalisation. Il faut identifier le panel des startups qui tournent, constituer une vraie base de données collaborative et exploitable par les différents métiers pouvant travailler avec les startups…

Dernier aspect : nous parlons de plus en plus d’industrialisation des projets. Travailler avec une startup, c’est bien; mais est-ce que cette dernière pourra accompagner une entreprise comme SNCF lorsque nous voudrons rentrer dans des échelles de déploiement qui nécessiteront des volumes énormes et une imbrication complexe ?

Vaste sujet que la scalabilité… Pouvons-nous par exemple considérer que la startup devienne énorme en 4 mois ?

MSG : Il faut prendre en compte toutes les optiques. Nous pouvons incuber et mettre notre fonds Digital Ventures dessus. Certaines startups vont développer une solution que nous pourrions récupérer pour réutiliser ailleurs. Nous pourrions pousser nos gros fournisseurs à se rapprocher des startups qui nous intéressent pour qu’ils apprennent à travaille ensemble… Il faut tout envisager.

SMS : Il existe un autre risque : la startup est fragile, elle peut disparaître ou être rachetée. Il faut avoir une veille économique et les bons indicateurs de sa santé.

MSG : D’où l’importance de vraies bases de données régulièrement alimentées et mises à jour. Nous devons professionnaliser notre connaissance de cet écosystème et de son pilotage.

Il est souvent admis que le droit court après les évolutions sociétales, encore plus dans le cas du digital. Qu’en pensez-vous ?

SMS : C’est vrai et faux en même temps. Certes, les nouvelles technologies évoluent énormément et le droit est moins rapide. Mais il existe tout de même des concepts juridiques qui peuvent s’appliquer au digital : il faut juste savoir les manier. Nous parlons beaucoup d’Open Innovation  – créer à plusieurs un même objet – : grâce au droit d’auteur et aux notions d’œuvre collaborative et d’œuvre de collaboration, ce sujet est encadré par le droit depuis très longtemps ; il s’agit d’interpréter le droit à la lumière de nouveaux usages. Autre exemple : la blockchain peut être considérée comme une base de données décentralisée, et ces dernières sont protégées en France depuis la directive du 11 mars 1996 transposée en 1998 en FranceLa problématique se porte sur l’interprétation du droit plus que sur le vide juridique. Il y a le niveau d’interprétation français, européen, américain, international… Il est d’ailleurs intéressant de discuter avec des professionnels du droit de différents milieux pour évaluer si nous nous approprions de la même manière un concept juridique déjà existant appliqué à une nouvelle technologie. L’innovation juridique existe aussi !

infos

Pour plus d’informations sur le kit startup, n’hésitez pas à contacter la Fab Open Innovation à: fab.open@sncf.fr

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