IA : “La data et l’intelligence machine” selon Moustapha Cissé
Après la présentation de la nouvelle étape de la transformation digitale du groupe le 29 août dernier à Lille, SNCF a accueilli Moustapha Cissé, responsable du tout fraîchement créé Google AI Research Center à Accra au Ghana. L’occasion d’échanger avec le chercheur sénégalais sur sa vision de l’IA et des opportunités liées à la data.
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Par La Redaction
Qui ?
Natif du Sénégal, Moustapha Cissé suit des études en mathématiques et physique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, puis rejoint la France où il décroche un Master spécialité Intelligence artificielle et décision à l’Université Pierre et Marie Curie. En 2014, il y obtient également un Doctorat en Sciences Informatiques. Avant de rejoindre Google, il travaille au sein de l’équipe parisienne du Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR). Moustapha Cissé a été primé par l’UNESCO comme talent mondial de l’année dans le domaine de l’IA en 2018.
Où ?
Place de Clichy, au “Dernier étage”, à Paris. Soit à environ 5 679 Kilomètres du collège de Dartmouth aux Etats-Unis. Pendant l’année universitaire 1955-1956, le mathématicien John McCarthy, enseignant à Dartmouth College, rédige le programme d’un colloque dans lequel apparaît pour la première fois de l’histoire le terme « artificial intelligence ». Ce nouveau domaine de recherche est fondé en tant que discipline académique en 1956.
Quand ?
Le 29 août 2018, lors de la soirée communautaire suivant la conférence de presse durant laquelle fut présentée la nouvelle étape de la transformation numérique du groupe ; soit 187 ans après la découverte de l’induction électromagnétique par le physicien britannique Michael Faraday. Cette dernière va mener à l’invention de la dynamo, génératrice de courant continu, qui est à l’origine des moteurs électriques et de l’industrie électrique moderne.
Grandes idées
1/ Intelligence “machine” plutôt qu’artificielle
Pour Moustapha Cissé, une intelligence ne peut pas être artificielle. Il préfère utiliser le terme intelligence machine. L’attribut “artificiel” peut induire un rapport différent à cette technologie, à l’origine de certaines peurs et appréhensions. Au lieu d’être perçue comme une ouverture sur une multitude d’opportunités.
La définition de l’intelligence machine ? “Un ensemble de techniques algorithmiques, à base de mathématiques, permettant de construire des programmes qui font en sorte que les machines ont des comportements que nous percevons comme intelligents : la compréhension du langage naturel aux traductions automatiques, en passant par la vision par ordinateur (reconnaissance faciale)”, explique le jeune chercheur.
2/ Résilience et transformation numérique
La forte croissance du secteur de l’intelligence artificielle génère craintes et questionnements sur la meilleure façon de l’intégrer au développement des entreprises. Pour Moustapha Cissé, le simple fait de se poser cette question du rapport à l’IA et à son utilisation est représentatif de sociétés qui ont traversé le temps, ont su être résilientes, « font de l’innovation » et qui, subitement, se retrouvent face à une technologie qui se développe extrêmement rapidement et qui, parfois, les dépasse. Lorsqu’une entreprise invente elle-même la technologie, elle fait face à ces problèmes différemment. “Lorsque vous donnez le ‘LA’, vous savez sur quelle musique vous allez danser”, précise Moustapha Cissé, arguant que les grandes entreprises innovent par ailleurs de moins en moins. En ce qui concerne SNCF, l’IA induit de formidables opportunités pour améliorer la maintenance (qui devient prédictive), la sécurité, et l’expérience utilisateur. Pour le jeune chercheur, il y a de nombreuses synergies à créer avec des entreprises, qui pourraient pourtant sembler compétitrices, pour inventer le transport de demain qui pour le moment reste une inconnue. Il faut se poser des questions pour explorer l’ensemble des possibles dont nous n’avons pas la vision à l’instant “T”.
3/ L’IA au service de la data et d’une vision holistique des processus
L’IA permet d’accroître la compréhension de la donnée, ce qui permet d’extraire une information utile et “actionnable” pour améliorer les processus et interactions entre les collaborateurs, par exemple. Pour une grande entreprise, la “compréhension de ses données” est peut-être même une priorité, selon Moustapha Cissé, notamment pour faire comprendre aux collaborateurs l’impact de leur rôle sur leur organisation dans sa globalité. Mais, pour rendre les machines intelligentes, il faut une grande masse de données ; données que SNCF collecte déjà depuis longtemps et qui représentent donc une véritable opportunité à exploiter pour le groupe ferroviaire.
4/ L’IA éthique au service des problématiques locales
Le crédo de Moustapha Cissé, c’est de penser l’IA en lien avec les problématiques locales, mais également les problèmes sociétaux émergents. Pour améliorer la vie et le quotidien des gens, Moustapha Cissé travaille sur l’IA axiologique, ou comment faire en sorte que les algorithmes soient alignés sur les valeurs que la société considère comme étant “les plus importantes” et trouvent des applications dans les domaines de la santé, de l’éducation, ou encore de l’agriculture. De nombreux chercheurs travaillent à faire en sorte que ces algorithmes respectent également une certaine éthique, soient équitables, et permettent des décisions compréhensibles et intelligibles. L’objectif est d’améliorer la compréhension et les interactions avec les algorithmes.
Punchlines
“Une intelligence ne peut pas être artificielle, les avions volent mais on ne parle pas de vol artificiel, c’est une autre forme d’intelligence.”
“Recruter les gens et les laisser faire : il en ressort des choses très transformatrices sur le long terme.
“Le problème des grosses entreprises, c’est qu’elles innovent de moins en moins.”
“Lorsqu’une entreprise investit dans l’innovation, elle est souvent impatiente et attend des résultats au bout de 5,10 ans, mais la recherche dans ces domaines là s’accommode mal aux calendriers.”
“Chez Google, on recrute des personnes qui savent beaucoup mieux ce qu’elles font que nous-mêmes, et elles nous disent quoi faire.”