Quand l’intelligence artificielle détecte les présences en rame
Commandé au CIM (Centre d’Ingénierie du Matériel) par Transilien fin 2018, le projet « Présence dans la rame » permet, grâce à un logiciel, de détecter une présence humaine. A la clé pour le conducteur, des contrôles de rame plus sécurisés et efficaces. Un gain de performance rendu possible grâce à l’intelligence artificielle. Explications.
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Par La Redaction
Parmi les taches d’un conducteur de train, existe celle du contrôle de la rame au départ et en fin de mission. L’agent doit vérifier que la rame est vide, que ce soit au terminus, en s’assurant que tout le monde soit descendu, ou lorsque la rame doit être emmenée au dépôt, afin d’éviter qu’un voyageur se retrouve bloqué en Technicentre. « Un conducteur qui remonte sa rame aller-retour, cela prend cinq minutes. Dans 98% des cas, la rame est vide. Ce n’est pas un exercice gratifiant, et cela prend du temps. Si par contre il trouve quelqu’un dans sa rame, selon la situation, cela peut amener à une expérience à risques pour l’agent » explique Philippe de Laharpe, chef de projet à la division développement de l’Ingénierie du Matériel.
Afin d’éviter une perturbation voyageur ou une situation délicate pour le conducteur, l’idée est d’utiliser les caméras de vidéoprotection présentes dans les trains afin d’analyser l’intérieur des rames. Ainsi, l’algorithme du logiciel indique en temps réel à l’agent si la rame est vide ou s’il a détecté une présence humaine.
« Le logiciel sait analyser la rame en dix secondes et produire l’information « rame vide / rame avec présence humaine en envoyant une photo de la personne présente à bord si tel est le cas. Cette solution réduit la pénibilité du conducteur, et lui assure un gain de temps notable » précise Philippe. Une couche d’intelligence artificielle a donc été nécessaire à l’élaboration de ce logiciel, réalisé de bout en bout par les équipes du CIM.
S’adapter à l’environnement ferroviaire avec l’IA
Commandé par Transilien, le projet avait une contrainte économique : réutiliser les caméras existantes afin de ne pas rééquiper toutes les rames en nouveaux supports. « Ce sont des caméras analogiques du début des années 2000, avec une qualité d’image médiocre » explique Sitou Afanou, Chargé d’Etudes Train Communicant et Intelligence Artificielle au CIM, « tout l’enjeu a été de pallier la basse résolution d’image en affinant le modèle préexistant afin que l’algorithme soit assez précis pour analyser et détecter une présence humaine, même sur des vidéos de qualité moindre » ajoute-t-il.
Concrètement, l’expert récupère les images de vidéoprotection du réseau embarqué (matériel Z2N) et les soumet à l’algorithme de vision artificielle pour détecter des formes humaines. Les équipes du CIM utilisent la brique logicielle publique de Google, TensorFlow, qui réalise de la détection d’objet. C’est elle qui permet d’analyser le contenu des vidéos, et renvoyer l’information d’une présence humaine ou non à bord.
Problème : le logiciel de Google est pré-entrainé avec des millions d’images de bonne résolution. Pour adapter les modèles natifs de Google aux images ferroviaires, Sitou a dû affiner le modèle. « On repart de la connaissance acquise par le modèle sur les images de bonne qualité, puis on ajoute celle issue des données ferroviaires. Cela permet à l’IA de régler le problème de résolution d’image, en faisant la corrélation des images de bonnes qualités de Google et celles de moins bonnes qualités issues des caméras du train » détaille-t-il. Après la récupération de plusieurs milliers d’images provenant des caméras de la rame, elles sont annotées à la main, et Sitou indique via un cadre sur l’image où se trouve l’humain. Il soumet ensuite les images à l’IA afin qu’elle puisse enrichir son socle de compétences, tout en s’adaptant à l’environnement ferroviaire.
Peaufiner les caractéristiques du logiciel
Déjà fonctionnel, le logiciel sait envoyer l’information de présence passagers par mail et SMS à des destinataires prédéfinis en cas de présence dans la rame, photo à l’appui. Le système est 100% automatisé, la version beta sachant démarrer, analyser et se relancer toute seule.
« Le projet a commencé fin 2018, où le CIM a dû montrer à Transilien la faisabilité de la détection de personnes via une IA pré-entrainée, et montrer que cela fonctionne sur des flux en temps réels » détaille Sitou. En 2019, l’équipe s’est consacrée au développement du logiciel. Cette année, de janvier à mars, « nous avons préparé un essai en service commercial, dans de vraies conditions d’exploitation avec des voyageurs, afin d’analyser comment le logiciel se débrouille. Cette étude consiste également à déterminer à quel endroit du train sera positionné le calculateur embarqué. Le temps requis pour la finalisation de ces études dépendra aussi de la somme financière validée par Transilien pour la suite du projet » précise-t-il.
Pour l’heure, le geste métier du conducteur n’a pas encore été finalisé par Transilien : est-ce qu’il devra activer le logiciel, ou est-ce qu’il se lancera tout seul ? A qui le logiciel envoie l’information d’une présence dans la rame ? Plusieurs options sont d’ores et déjà envisagées par Sitou et Philippe. Des essais d’intégration liés à la sécurité des voyageurs, du train, et à la qualité de service à bord sont également prévus. « La brique fonctionnelle est prête à l’emploi, nous attendons le go de Transilien pour le déploiement de la solution. Pour la suite, nous voulons travailler sur un projet de comptage des personnes à bord, également basé sur l’IA, mais qui concerne les trains RERNg, plus récents, mis en circulation fin 2021 » conclut Philippe de Laharpe.