Vidéo intelligente et vision artificielle : SNCF mise sur la vidéo du futur
Fort de son empreinte territoriale et de la diversité de ses métiers, SNCF ambitionne de se positionner comme un acteur majeur et incontournable des technologies liées à la vidéo. Le Groupe s’assure la pleine maîtrise du sujet grâce à la recherche constante d’innovation comme l’IA et l’edge computing. L’entreprise œuvre à développer une stratégie vidéo, centrée sur une plateforme commune dédiée à l’ensemble des entités. Celle-ci devra permettre aux métiers de créer leurs propres systèmes vidéo, tout en garantissant une bonne interopérabilité des outils.
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Par La Redaction
Aujourd’hui, les entreprises s’appuient sur le traitement d’images pour renforcer la sécurité et améliorer leurs services. C’est le cas aussi chez SNCF. La vidéoprotection est utile à la Sûreté Ferroviaire, pour assurer la sûreté des personnes et des biens dans les espaces ouverts au public, comme les gares, quais ou trains. Elle est aussi utilisée pour l’exploitation en gare et sur les quais par SNCF Gares & Connexions et Transilien. La vidéo assistance quant à elle est un outil permettant de simplifier, voire automatiser certains processus métier comme par exemple le contrôle de la fiabilité et de la qualité du trafic. Dans l’optique d’assurer la sécurité du personnel dans les établissements recevant des travailleurs, en passant par celle des infrastructures et du patrimoine, SNCF Réseau, les Technicentres, mais aussi toutes les autres entreprises et entités du groupe, peuvent avoir recours à la vidéosurveillance.
La vidéo intelligente consiste en l’exploitation automatique des données grâce au développement de nouvelles technologies comme l’IA ou la réalité augmentée. À titre d’exemple, les quelque 400 gares en région parisienne regroupent environ 10 000 caméras, dont les vidéos sont visualisables depuis des postes de commande. Aujourd’hui, ce sont les agents qui prennent en charge la détection d’événements et la préparation d’interventions en cas d’actes inciviques ou agressions. Cette visualisation demande un effort humain très important – temps investi, concentration, fatigue –, mais le développement de solutions de vidéo intelligente pourra épauler les agents dans le traitement des vidéos. Deux problématiques techniques majeures émergent, autour du système de traitement automatique des flux de données. La première est la capacité du système à traiter un grand volume de données. La seconde est l’aptitude de l’outil à déclencher des alertes en cas de besoin.
Vers une plateformisation des données grâce au socle vidéo
« En dix ans dans le domaine de la Sûreté et de l’exploitation, plus de 13 000 caméras ont été déployées sur environ 15% des gares, avec une couverture vidéo hétérogène », rapporte Stéfan Kopanski, Responsable du programme Sûreté & Vidéosurveillance pour les besoins du Groupe chez e.SNCF. Jusque-là, il existait peu de mutualisation d’outils et de savoir-faire dans les différents projets de vidéoprotection.
Partant des besoins et cas d’usage du terrain, e.SNCF prévoit de mettre en œuvre une plateforme de services vidéo à destination de l’ensemble du Groupe. Elle offrirait un environnement de travail où les équipes techniques développeraient leurs propres modèles de traitement de données ou expérimenteraient des solutions de vidéo-intelligente du marché, tout en bénéficiant d’une infrastructure et de services mutualisés, en amont du déploiement en condition réelle. « Il s’agit avant tout d’un projet d’harmonisation et de mutualisation des outils vidéo, pour répondre aux ambitions aussi bien opérationnelles (ex. sûreté et sécurité des biens et des personnes, exploitation, maintenance, performance des métiers sur le terrain) que financières », détaille le responsable.
Au cœur de la future plateforme, le socle vidéo serait constitué de deux éléments. Le premier serait un serveur global de stockage des données. Le second consisterait en une infrastructure centralisée, permettant la gestion et le traitement des flux vidéo en temps réel et/ou différé, via une couche logicielle adaptée. L’objectif est de répondre à des cas d’usage nécessitant de l’analyse vidéo centralisée en data center pour des besoins généraux et à grand échelle – comme la détection de bagage abandonné en gare –, mais aussi et surtout à des cas d’usage en mode edge computing (traitement local des données rendu possible par les objets connectés ou serveur local). À savoir que les nouveaux usages ont d’ores et déjà émergé, comme la détection de graffiti, qui utilise une solution de caméra indépendante, couplée à des algorithmes de traitement d’images.
Ainsi, à l’échelle du Groupe, l’enjeu est d’unifier et généraliser l’utilisation de la vidéo avec ce socle commun sous peine de voir les budgets s’envoler. Selon le responsable, la mutualisation des moyens et des usages vidéo pour des dizaines de milliers de caméras existantes et futures contribuera à « la baisse significative du coût annuel moyen d’exploitation par caméra ».
Plus globalement, Stéfan Kopanski évoque deux approches visant à développer la vidéo intelligente chez SNCF. Il s’agit de « faire appel aux solutions du marché et travailler avec les éditeurs et intégrateurs, ou le faire en interne ». Historiquement, la première voie a été favorisée, mais « elle est contraignante car elle nécessite une consultation de marché à laquelle nous ne pouvons pas déroger, et nous n’avons pas de maîtrise de la technologie, ce qui nous oblige à rester tributaire du fournisseur de solution », souligne-t-il.
La seconde approche, qui gagne en popularité au sein du Groupe, vise justement à supprimer cette dépendance, grâce à l’utilisation des solutions IDE (Integrated Development Environment). Il s’agit d’un ensemble d’outils qui permet d’augmenter la productivité des développeurs de logiciels. Ces solutions pourront rendre les équipes techniques totalement autonomes, aussi bien sur l’instruction des cas d’usage, que sur l’ensemble de la chaîne de traitement d’images (préparation, construction, apprentissage / ajustement, déploiement / gestion et feed-back). « C’est là qu’une plateforme de computer vision (vision par ordinateur, ndlr) disponible sur le marché a tout son sens pour le Groupe », prône le responsable.
Une dynamique forte autour de l’IA dans la Vision par ordinateur
Au-delà de e.SNCF, il existe dans l’entreprise une dynamique forte de recherche et développement sur les sujets du traitement d’images et de l’intelligence artificielle. Depuis mars 2020, les équipes de SNCF Innovation & Recherche (SNCF I&R) et du Centre d’Ingénierie du Matériel (CIM) animent un groupe de travail sur la vision artificielle (fusion entre la vision par ordinateur et l’Intelligence Artificielle). Celui-ci réunit les exploitants et commanditaires de projets (Transilien, SNCF Voyages, TER, Intercités), mais aussi des profils variés de l’ingénierie, comme les membres SYNAPSES, le réseau de 500 experts scientifiques et techniques pour le Groupe SNCF.
A la base de la vision artificielle, il y a la vision par ordinateur. « C’est une technique permettant à une machine de voir, au sens humain, c’est-à-dire d’être capable d’interpréter une scène observée », rappelle Claire Nicodème, Experte Groupe pour la recherche en Vision par Ordinateur et Intelligence Artificielle, en charge du groupe de travail.
« Notre but est de démocratiser l’IA dans l’entreprise, et ainsi d’introduire une nouvelle maîtrise de cette technologie dans le domaine ferroviaire », affirme-t-elle. Cela passe par exemple par la réutilisation des bases technologiques de computer vision déjà existantes, au sein du Groupe et en open source. À savoir que l’IA offre de nouvelles possibilités, notamment un gain de précision dans le traitement d’images.
Il existe tout de même quelques défis dans la création des algorithmes de vision artificielle. Tout d’abord, il faut créer des bases de données les plus complètes possible et sans biais. Par exemple, pour détecter les défauts visibles sur une carte électronique, l’algorithme devra apprendre ce qu’est l’état attendu de la carte, ainsi que la représentation d’un défaut. Si ce dernier n’apparaît que rarement, il n’est pas évidement de collecter assez de données pour constituer le répertoire d’entraînement de l’algorithme. En ce qui concerne les biais, Claire Nicodème souligne que « l’humain n’en est déjà pas exempt, et de ce fait, il pourrait tout à fait en introduire sans s’en rendre compte dans le processus ». Par exemple, il est difficile d’entraîner un algorithme à détecter un défaut ou une panne que les opérateurs n’auraient jamais rencontré.
Par ailleurs, certains usages de vision artificielle révèlent un autre challenge technologique, davantage lié au respect de la vie privée. Par exemple, dans les flux vidéo, le visage et d’autres données biométriques permettent d’identifier les personnes. « Aujourd’hui, les données de ce genre ne sont pas enregistrées : elles sont observées par un être humain assermenté avec une habilitation complexe », insiste-t-elle. Automatiser ce processus dans le cadre du RGPD demande d’ajuster des algorithmes existants pour rendre les données complètement anonymes, sans possibilité de reconstruction. Grâce à l’anonymisation, il est possible de cacher ces caractéristiques, sans que cela n’efface l’information utile. « Nous travaillons avec la CNIL sur ce sujet », précise-t-elle.
Aujourd’hui, le groupe de travail a d’ores et déjà identifié des cas d’usage possibles de la vision artificielle, très transverses. Sitou Afanou, Chargé d’Etudes Train Communicant et Intelligence Artificielle au CIM (Centre Ingénierie Matériel) et également en charge du groupe de travail, détaille des exemples d’usages de cette technologie, dans le cadre des différentes activités :
Sûreté : un algorithme pourra aider à prioriser les besoins urgents permettant de mieux agir et donc d’améliorer le sentiment de sécurité des gens dans les gares, notamment via la détection de personnes nécessitant de l’assistance, du comportement violent, ou encore de la propreté (afin d’adapter les méthodes de nettoyage). Maintenance : une analyse poussée d’images permettra de repérer les composants défectueux des pièces réparables du matériel, ou bien les équipements dans le train comme l’ordinateur de bord, ou l’écran. SNCF utilise déjà les images prises par une caméra embarquée sur le train pour analyser les défauts de voies ferrées. Exploitation : la vision artificielle permettra par exemple de compter le nombre de passagers pour mieux dimensionner le plan de transport, ou d’automatiser des visites de contrôle avant expédition aux centres de maintenance pour vérifier plus rapidement les rames. Sécurité : cette technologie pourra réaliser une reconnaissance de la signalisation latérale, dans le cadre du train autonome, ou d’autres éléments de signalisation sur l’écran du conducteur dans la cabine par le système embarqué dans le train.
Crédit photo : Michael Dziedzic – Unsplash